QUESTION : Je vous écris
de la part de mon fils qui est étudiant en DEUG de géographie.
Il doit faire un mémoire en architecture d'environ 30
pages . Il axé son devoir en 2 parties:
A)
Histoire et architecture du Mont Saint-Michel.
B)
La représentation géographique du Mont
Saint Michel (attrait touristique - rôle social
- etc...)
C'est
sur cette 2ème partie qu'il bloque et qu'il vous demande
de l'aide.
REPONSE
:
L’ensemble des touristes
est souvent pensé comme un groupe homogène, en réalité,
rien n’est plus faux (sauf dans certains sites appropriés
par un groupe social restreint). Le Mont Saint-Michel
est un site touristique universelle, où se rencontrent
des visiteurs aux aspirations diverses. Par exemple, les
habitants de la région qui font visiter le monument à
des amis de passage n’ont pas les mêmes pratiquent ni
les mêmes rythmes que les touristes qui « font » la Normandie,
en y séjournant pendant trois semaines et en alternant
les journées de repos, et les excursions
dans les lieux appartenant à leur imaginaire (le Mont,
les plages du débarquement de 1944…)
La liste suivante classe
les visiteurs du Mont Saint-Michel selon leur pratiquent
touristiques (ne pas oublier que dans chacunes de ces
catégories se trouvent des personnes venant au Mont dans
un but spirituel):
Les transhumants :
La famille est originaire
du Nord de la France, de Belgique, d’Angletterre… Elle
traverse la France pour aller dans le Sud-Ouest ou en
Espagne. Le Mont est assez proche de la route pour qu’un
détour soit consenti.
Composition type : la famille,
parfois deux famille, beaucoup de bagages.
Le budget de temps est plutôt
limité. La visite peut même se réduire à un déjeuner dans
le paysage, ou à une étape de la nuit.Il n’y a pas d’errance
au moment du départ : il reste du chemin à faire. La journée
peut contenir encore une étape, à Saint Malo par exemple.
Le voyage itinérant :
Le voyage de plusieurs jours,
voire d’une ou deux semaines, est fondé sur des visites
quotidienne avec un déplacement permanent du lieu d’étape.
Cette pratique peut se faire
dans plusieurs registres : en haut de gamme avec une étape
organisée d'avance. dans un hôtel confortable, ou un arrêt
à midi dans une table recommandée. La journée est alors
fortement rythmée par ces deux exigences. et l'organisation
des visites présente un net effet de proximité vis à vis
de l'hôtel (celui ci est toujours choisi à l'intérieur
du Mont ou dans le centre quand l'étape se place dans
une ville).
En bas de gamme, le voyage
s'effectue avec des étapes improvisées que le visiteur
gère avec des solutions de secours (camping, parfois couchage
dans la voiture).
L’excursion pendant un séjour
dans la région :
La famille « fait » la Normandie.
comme elle fait une autre année les Alpes. le Massif Central,
ou l'Alsace. Le séjour dure de trois à quatre semaines.
et il se fait en un lieu fixe meublé ou camping (ce dernier
avec un équipement sophistiqué).
Les vacances présentent deux
types de journées:
- la plupart d'entre elles
offrent un mélange de repos et d'hygiénisme et sont marquées
par des signes ostentatoires de la vie au plein air comme
des vêtements spécifiques (short ou jogging, tennis) ou
des activités molles (jeux de boules, volley baIl, barbecue,
promenades courtes...). Le discours dominant est la santé
et le repos;
- une fois par semaine. une
journée est consacrée à une excursion. souvent dans un
« haut-lieu » de l'imaginaire du groupe social. Le Mont
sur ce plan est comparable à la Mer de Glace et au Mont
Blanc ou encore aux cols du Tour de France. La motivation
est la curiosité : on vient « Ie voir », confronter la
réalité avec l'image si connue d'avance. mais dont malgré
tout il faut s'assurer. Un regard d'ensemble peut d'ailleurs
suffire. Cette journée d'excursion manifeste une grande
vacuité dans l'emploi du temps et son rythme est peu intense.
Le Mont du jour de pluie
:
Une variante du cas précédent
est l'excursion du jour de mauvais temps quand la famille
séjourne sur la côte normande ou bretonne, et quand la
pluie ou le vent la dissuadent d'aller a la plage.
Une visite
du Mont peut donner un sens a la journée, sur le même
mode qu'une excursion au Cap Fréhel et au Fort Lalatte,
ou qu'une journée à Saint Malo. Les pratiques sont proches
de celles d'une excursion pendant un séjour, avec peut-être
davantage de vacuité encore.
L’annexe d’une excursion
:
Un détour par le Mont peut
enrichir une journée d'excursion dont l'objectif premier
est autre : Saint Malo, ou la mer par exemple. Ce type
de visiteur est surtout un familier du lieu, habitant
de la région ou possesseur d'une résidence secondaire
en Bretagne.
Le mécanisme ici est différent
de l'excursion au Mont il s'agit parfois seulement de
passer devant le monument ou d'y faire une courte étape.
de l'ancrer dans une pratique de familiarité. sur la longue
durée.
Le tourisme régionnal :
Les habitants de la région
viennent au Mont pour montrer le monument à la famille
ou aux amis en visite chez eux. L'organisation de cette
excursion fait partie du bien recevoir, au même titre
que la sophistication des repas ou l'attention permanente
aux invités. L'excursion participe aussi à une occupation
complète du temps de séjour, qualité nécessaire a la convenance
de l'accueil.
La visite au Mont est toujours
d'une journée, avec l'arrivée en fin de matinée, et le
départ en milieu d'après midi. La visite de l'abbaye semble
rare, parce que les régionaux la connaissent déjà et parce
que l'entrée est perçue comme coûteuse.
Pendant tout le séjour au
Mont, la discussion est l'activité dominante, avec une
part de commentaires sur ce qu'il y a a voir et de récits
sur le lieu. Le reste de la joumée est consacré à d'autres
visites locales.
La fête annuelle :
Une pratique différente de
la précédente est la visite que les régionaux d'origine
rurale font une fois par an, au Mont. Ce déplacement ponctue
toujours à une même date l'une des quelques grandes fêtes
qui sont réellement chômées dans l'année (le 15 Aout,
l'Ascension, la Toussaint).
La foule n'est pas perçue
comme une gêne peut-être est elle même pour partie ce
que l'on vient voir. La visite est fortement ritualisée,
avec un repas pris dans le Mont, ou une traversée de la
grève, ou une messe.
Le mini voyage :
C'est une extension du déplacement
de la joumée, pour découvrir un lieu. Mais elle concerne
des visiteurs qui habitent un peu loin et qui doivent
passer une nuit hors de chez eux .C'est encore une excursion,
mais c'est en rnême temps déjà un voyage avec une part
de dépaysement il faut des bagages, il faut se préoccuper
de la nuit, avec l'incertitude qui s'attache à la recherche
d'un hôtel. Ou encore effectuer un long trajet en voiture.
Le temps disponible est peu
mesuré. avec une grande vacuité de la soirée, s'il y a
couchage sur place. On trouve dans ce public des Parisiens,
des habitants du Sud de la Bretagne. ou du Centre de la
France. La présence d'un pont. à l'occasion d'une fête
est souvent le prétexte de cette sorte de déplacement.
Les cars de province :
Les agences de voyage de
province, mais aussi les clubs, les associations, les
comités d'entreprise, organisent des déplacements en cars,
qui sont une sorte de voyage de courte durée. L'offre
correspond soit à un thème (par exemple les lieux religieux
de la Normandie), soit à une découverte régionale (la
Bretagne, incluant le Mont
Saint Michel), soit à un haut-lieu, soit enfin
à plusieurs thèmes à la fois (le Mont, Saint Malo, et
Jersey).
Le rythme de la joumée est
dominé par l'importance des repas, par l'anticipation
du départ et de manière générale par la prégnance de l'horaire.
Une réelle passivité est perceptible, induite par le poids
de l'organisation. Ce sont les temps d'attente qui dominent,
et ceux du regroupement.
Les comportements individuels
qui peuvent s'observer sont ceux que révèle tout groupe
: les grégaires, les dissipés railleurs, les retardataires
endémiques, les studieux, les exclus...
Une forme particulière de
cette pratique se développe actuellement c'est le déplacement
peu coùteux, parce que sponsorisé par une vente. La formule
vient d'Allemagne et de Suisse.
Le troisième âge :
Une forme particulière de
ceci est le tourisme du troisième âge en car. Il est dominant
dans l'entresaisons. Les pratiques individuelles varient
essentiellement en fonction de deux paramètres
- la durée de l'étape au
Mont, qui dépend de la longueur du voyage. et des autres
arrêts de la joumée (cette durée est généralement courte)
- la mobilité physique de
chaque visiteur.
La recherche d'insolite (mais
sans aléas, d'où le voyage organisé), la rupture avec
le quotidien, le meublement d'une partie de la vie devenue
sans aspérité, mais surtout l'envie d'être en compagnie
prédominent ici: les participants se fondent résolument
à la vie du groupe et à ses rituels.
Les scolaires :
Il y a une saison pour les
voyages scolaires en car: de Pâques à fin juin. Les déplacements
à l'occasion des jumelages sont un cas fréquent. Les comportements
varient suivant l'âge. Ils manifestent souvent des regroupements
informels, présentant, particulièrement chez les adolescents,
des grandes apparences de désoeuvrement et d'ennui (ce
dernier est d'ailleurs tout à fait démenti par les intéressés).
Découvrir la France :.
Le Mont Saint Michel est
l'un des grands lieux qu'un étranger visite à l'occasion
d'un voyage d'une semaine ou deux en France ou en Europe.
Les autres lieux de la même nature sont les Chateaux de
la Loire, Versailles, l'Océan (à Deauville ou à Saint
Malo).
Ce voyage, organisé par des
agences spécialisées, se fait en car, au départ de Paris.
En ce qui conceme le Mont, il doit s'agir d'un déplacement
de la journée.
La découverte savante :
Un public particulier recherche
une découverte savante de l'architecture
du Mont. La visite de l'abbaye est le moment privilégié
du voyage celui qui lui donne son sens.
Ce visiteur présente une
forte autonomie, avec une pratique aisée des instruments
du voyageur informé : les guides touristiques ou gastronomiques,
les cartes, les livres de références sur l'histoire du
lieu. On repère à l'évidence ce visiteur par ses achats
dans les librairies de l'abbaye.
Il est libre de son temps.
Sans doute ne revient-il qu'à de longs intervalles sur
le même site la connaissance est un cheminement cumulatif
et systématique. Ce touriste se rencontre toute l'année
mais il préfére évidemment les saisons hors de la foule,
autant pour des raisons d'élitisme que de commodité.
Le jeune couple :
Le Mont Saint Michel est
un lieu où la singularité de l'espace permet un voyage
de la séduction, pour un couple récemment formé, légitime
ou non : voyage loin des autres, les yeux dans les yeux
Ce voyage est de la même
nature qu'un court séjour à Deauville pour marcher pieds
nus dans le sable, ou dans une auberge au bord de la Marne.
Le séjour, qui est d'une
fin de semaine, ou d'une fin de semaine prolongée, veut
se placer hors du temps: il est consacré à la déamhulation
dans le site, aux repas, à la découverte ensemble de choses
étonnantes ou fugitives, le mascaret, les oiseaux, la
lune sur la grève brillante…
D'après un essai de
typologie du visiteur. Mission Mont Saint-Michel. DDE
de la Manche. BP 496. 50006 Saint-Lô CEDEX
LE RENOUVEAU CONTEMPORAIN:
RESTAURATION OU RENAISSANCE?
Les écrivains « romantiques
» remirent à l'honneur le moyen âge. L'art de ces temps
anciens les fascinait. Car l'inquiétude religieuse n'en
était jamais absente. Le Mont Saint-Michel profita de
ce large mouvement intellectuel. Son architecture semblait
un pari à l'impossible, une gigantesque chimère. Théophile
Gautier analyse ses impressions
« Toute cette architecture
s'élance avec une ardeur d'escalade que les siècles n'ont
pas refroidie et semble vouloir prendre d'assaut la montagne
qu'elle couvre. Le génie grec cherchait la figure horizontale,
et le génie gothique la ligne perpendiculaire, comme s'il
eût essayé d'atteindre et de percer le ciel. L'un exprimait
le calme, l'autre l'inquiétude » (1).
L'écrivain décrit aussi son
plaisir étrange, car les prisons donnaient encore au monument
une grandeur tragique
Une visite au Mont Saint-Michel
est un plaisir du même genre que celui qu'on prend à lire
un roman d'Anne Radcliffe ou à feuilleter Ces étranges
eaux-fortes dans lesquelles Piranèse égratignait sur le
vernis noir ses cauchemars d'architecture » (2). Les écrivains
du XIXe siècle vinrent nombreux au Mont, qui, ainsi trouva
souvent une place dans leurs écrits. Ils firent évoluer
peu à peu la sensibilité collective. Le surhumain, le
cyclopéen, le fantastique ne furent plus méprisés par
les hommes. Les vieilles réticences de l'âge classique
s'évanouissaient. Le monastère montois pouvait être désormais
admiré par les foules.
Car un phénomène nouveau,
le tourisme, profita, à la fin du XIX siècle, à l'île
normande. Les riches seigneurs, et les esprits curieux,
ont toujours voyagé. Mais ils préféraient l'Italie ou
la Terre Sainte. Les
pèlerins vinrent longtemps à l'abbaye; et dès 1865, deux
ans après le retour au culte de l'abbatiale, un pèlerinage
du diocèse de Coutances y fut organisé. L'afflux des touristes
prit malgré tout une autre ampleur. Les nouveaux moyens
de transport, le chemin de fer, puis la voiture, et même
l'avion, facilitaient les déplacements. Le monde entier
s'ouvrait à l'individu. En même temps, s'élaborait une
civilisation, où les « loisirs », les « vacances » avaient
leur place. Les voyages devenaient familiaux, au lieu
d'être solitaires. Toutes les classes d'âge étaient concernées,
et non plus seulement les jeunes gens ou les gens jeunes.
La perspective cessait d'être religieuse, et devenait
simplement culturelle. Changer de paysage, changer d'époque,
changer de monde le « dépaysement » devenait la fin majeure
des voyages. Enfin, la mer attira de plus en plus les
hommes. Le Mont jouissait d'un site incomparable. L'Océan
ajoutait à sa beauté la grandeur de ses légendes.
Toute une vie originale s'élabora
grâce au tourisme. Un « groupe » se créait, petite société
éphémère. Il naît pour la simple visite de ce que les
civilisations considèrent comme leurs « hauts lieux ».
Il a ses règles, ses habitudes, ses joies et ses ennuis.
Il ne laisse pas l'individu solitaire, dans le dédale
de la culture
Renouveau « gothique » et
tourisme naissant attirèrent des foules. La vie du Mont
changea.
Il fallut d'abord accueillir
les voyageurs. La ville, au pied du rocher, s'y consacra.
Des hôtels s'installèrent dans les vieilles maisons des
siècles antérieurs. Les boutiques et les restaurants revinrent
y animer les rues. Toute la vie du littoral fut d'ailleurs
transformée. L'élevage, la polyculture, la pêche subsistèrent,
avec quelques petites industries. Mais la vocation touristique
s'affirmait dans les villages et les villes des alentours.
Il fallut aussi restaurer
l'abbaye. Après des siècles d'abandon, elle menaçait ruine.
Les Mauristes, puis l'administration pénitentiaire l'avait
défigurée. Une idée anima chacun : faire renaître les
édifices médiévaux, et, au besoin, les recréer. Ainsi
commença une oeuvre de géant qui s'est prolongée jusqu'à
nos jours.
Construire un monastère sur
ce rocher cerné par la mer était une gageure. Pour plaire
à Dieu , aux moines et aux pèlerins, les hommes du moyen-âge
osèrent cette audacieuse idée de pierre, et des siècles
de persévérances, défiant les guerres (Cent-Ans) et les
catastrophes naturelles (incendies, effondrement …), achevèrent
cette silhouette d’orgueil, de vertige et de rêve. C’est
certainement un peu pour tous cela que le Mont Saint-Michel
attire aujourd’hui plus de trois millions de visiteur
par ans.
Extrait du Mont Saint-Michel
de Lucien Bély édition ouest France 1978
Statistique de Fréquentation
1850 : 5 000 visiteurs /an
1910 : 80 000 visiteurs/an
1930 : 130 000 visiteurs/an
1960 : 300 000 visiteurs/an
1996 : 3 000 000 visiteurs/an