poisson.
Il fallait une grande habitude et une force peu commune pour pousser,
devant soi et dans l'eau sur un fond tissé d'herbes marines,
de goémons et d'algues enchevêtrées ce filet
qui ne faisait grâce à aucun poisson happé
entre ses cornes redoutables.
La mer était déjà retirée à
près d'un quart de lieue de la base du Mont-St-Michel,
et la Croix des Grèves n'était
plus qu'à demi couverte par les flots. La Croix
des Grèves, citée souvent dans les manuscrits
de l'abbaye, était un gigantesque calvaire élevé,
dans les premières années du onzième siècle,
par la piété des pèlerins, en souvenir d'un
événement miraculeux qui s'y était produit
en 1010; une femme, surprise
par la marée, avait mis au monde, à cette place,
un enfant qu'elle avait baptisé avec les eaux de la mer;
elle était demeurée au sein des flots qui, grâce
à la protection de Saint Michel, s'étaient élevés
autour d'elle sans la submerger ; ce miracle, rappelant la traversée
de la Mer Rouge par les Hébreux, avait eu un immense retentissement;
Guillaume de Saint-Pair l'avait célébré
dans ses vers romiens et il n'était pas prodige plus populaire
non seulement en France, mais dans toute l'Europe.
A peine les trois pêcheurs furent-ils arrivés au
pied de cette belle tour du Nord, appelée aussi Moriland,
et qui surplombe majestueusement les