La
lime était bonne. Aubry avançait à la besogne.
N'eût été la posture intolérable qu'il
était obligé de garder, limant d'une main, et de
l'autre se soutenant à l'embrasure
de la meurtrière, sa tâche aurait été
vite à fin.
Mais à chaque instant, ses doigts fatigués lâchaient
prise.
Il retombait au fond de sa cellule, suant à grosses gouttes,
épuisé, haletant.
Pour retrouver du coeur, il lui fallait évoquer l'image
de Reine.
Mais aussi, quelle vaillance nouvelle dès que ce nom chéri
venait à sa lèvre !
Il la voyait ; elle était là, le soutenant et l'encourageant.
Il l'entendait qui disait :
-Nous avons besoin de votre bras, Aubry, pour nous défendre
contre nos persécuteurs. Courage
!
Ce fut une nuit de fièvre, pendant laquelle plus d'une
imagination folle visita la solitude du captif. Vers le matin,
la plus étrange de toutes le prit au milieu de son travail.
Ce qu'il avait prévu la veille, dans sa conversation avec
Reine, arrivait. Il croyait entendre les aboiements lointains
d'une meute chassant sur la grève.
C'était une illusion, sans doute. Et pourtant, chaque fois
que le vent donnait, il apportait les aboiements plus distincts.
Et une fois, parmi ces aboiements, Aubry crut reconnaître
celui de maître Loys, son beau lévrier noir.
La fièvre amène comme cela de bizarres illusions.
Aubry reprit sa lime et travailla. La barre de fer était
presque coupée.
Pourtant, elle tenait encore. L'aube se leva. Aubry se coucha
sur la paille et voulut prendre un instant de sommeil.
À peine était-il endormi que le bruit de la clé
de frère Bruno, tournant dans la serrure, le réveilla
en sursaut. Frère Bruno était pourtant déjà
venu faire sa ronde et raconter son histoire.
Ordinairement, il ne venait qu'une fois.
Allait-il prendre l'habitude de faire deux rondes par nuit, et
de raconter deux histoires ?