-Je
ne veux pourtant pas vous déranger, dit-il, car je pense
que vous ne recevez pas de visites. Aubry s'efforça de
garder un visage serein.
-Mais j'y pense, reprit le moine en riant plus fort, on dit que
le lutin de nos grèves, qui avait disparu depuis cent ans,
est revenu. Les pêcheurs du
Mont ne parlent plus que de la bonne fée, depuis quinze
jours. Vous étiez là perché à votre
lucarne quand je suis entré... peut-être que la Fée
des Grèves était venue vous voir à cheval
sur son rayon de lune.
Assurément, le frère Bruno ne croyait pas si bien
dire. Aubry rêvait toujours.
-À propos de cette Fée des Grèves, poursuivit
le moine, il y a des milliers de légendes toutes plus divertissantes
les unes que les autres. Vous qui aimez tant les vieilles légendes,
messire Aubry, vous plairait-il que je vous en récite une
?
Ce disant, le frère Bruno s'asseyait sur la paille du lit
et déposait sa lampe à terre. L'idée de conter
une légende le mettait évidemment en joie.
Aubry le donnait au diable du meilleur de son coeur.
-Au temps de la première croisade, commença frère
Bruno, le seigneur de Châteauneuf, qui était Jean
de Rieux, vendit tout, jusqu'à la chaîne d'or de
sa femme, pour équiper cent lances.
M'écoutez-vous, messire Aubry ?
-Pas beaucoup, mon bon frère Bruno.
-La légende que je vous conte là s'appelle la Grotte
des Saphirs, et montre tous les trésors cachés au
fond de la mer.
-Je n'irai point les y quérir, mon frère Bruno.
-Jean de Rieux ayant donc équipé ses cent lances,
reprit le moine convers, poussa jusqu'à Dinan suspendre
un médaillon bénit à l'autel de Notre-Dame,
puis il partit, laissant sa dame, la belle Aliénor, aux
soins de son sénéchal.
Aubry bâilla.
-Jamais je ne vis chrétien bâiller en écoutant
cette légende, messire Aubry, dit le moine un peu piqué,
et cela me rappelle une autre aventure...