-Bruno
! interrompit sévèrement le jeune homme d'armes,
il ne faut pas parler ainsi devant moi de mon seigneur le duc
!
-Bien ! bien ! je sais que vous êtes loyal comme l'acier,
messire Aubry. Je vous aime, moi, voyez-vous, et si j'étais
le maître, vous auriez la clef des champs à l'heure
même, car c'est une honte à l'abbaye de Saint-Michel
de servir de prison à ce damné de François.
Bien ! bien ! je retiens ma langue, messire. Je disais donc que
vous êtes un joli homme d'armes, mon fils, et que pour tout
au monde je ne voudrais pas vous faire de la peine. Et tenez,
ajouta-t-il d'un accent tout à fait paternel, si vous me
disiez quelquefois : Frère Bruno, je boirais bien un flacon
de vin de Gascogne, pourvu que ce ne fut ni quatre-temps ni vigiles,
je ne me fâcherais pas contre vous.
L'excellent frère Bruno parlait ainsi avec une volubilité
superbe, sans virgules ni points, et pendant qu'il parlait son
franc visage souriait bonnement.
C'était presque un vieillard : une tête chauve, mais
joyeuse et pleine, qui avait bien pu être au temps jadis,
la tête d'un vrai luron.
Depuis qu'Aubry était prisonnier dans les cachots de l'abbaye,
frère Bruno faisait son possible pour adoucir la rigueur
de sa captivité.
À l'heure des rondes il ne passait jamais devant la cellule
d'Aubry sans y entrer pour faire un doigt de causette. Aubry l'aimait
parce qu'il avait reconnu en lui un digne coeur.
Il laissait le frère Bruno lui conter les détails
du dernier siège du Mont. Le bon moine s'était refait
un peu soldat pour la circonstance. Il aurait voulu que le Mont
fût assiégé toujours.
Mais les Anglais vaincus avaient abandonné jusqu'à
leur forteresse de Tombelène, après l'avoir préalablement
ruinée. Les jours de fête étaient passés.
D'ordinaire, Aubry recevait avec plaisir et cordialité
les visites du moine ; mais aujourd'hui, nous savons bien qu'il
ne pouvait être à la conversation. Pendant que frère
Bruno parlait, il rêvait.
Bruno s'en aperçut et se prit à rire.