idée.
Pas n'est besoin d'aller au Sahara pour voir de splendides mirages.
Les sables de la baie de Cancale reflètent des fantaisies
aussi brillantes, aussi variées que les sables d'Afrique.
La pâle lune des rivages bretons évoque des féeries
comme le brûlant soleil de Numidie.
Ce
sont là des miraculeuses visions, des rêves inouïs
que nulle imagination n'inventerait, même dans le délire
de la fièvre.
La grève, comme un magique miroir, trahit alors les secrets
d'un monde qui n'est pas le monde des hommes.
J'ai vu là des bocages enchantés voguant parmi les
nuées qui bercent mollement l'île d'Armide plus belle
que dans les songes du Tasse ; j'ai vu les froides et nobles lignes
du paysage grec, la perspective sans fin des Champs-Élysées
; j'ai vu Babylone et ses terrasses orgueilleuses portant des
orangers plus hauts que les chênes de nos bois.
J'ai vu, et c'était un fantôme, la forêt morte,
la vieille forêt de Scissy, prolongeant ses massifs dans
la mer et couvrant de son ombre sacrée Tombelène,
le lieu des sacrifices humains.
Plus loin, c'était une flotte qui allait toutes voiles
déployées, cinglant sur les tangues à sec.
Plus loin une procession muette déroulant la pourpre
et l'or de ses anneaux infinis.
Plus loin encore, un pauvre rideau de peupliers, devant la maison
aimée...
Illusions ! illusions ! mensonges qui ravissent ou qui font pleurer
!
Mais sous lesquels il n'y a que les sables nus attendant leur
proie.
Oh ! non, ce n'était pas une femme mortelle, l'être
que voyait le petit Jeannin aux rayons de la lune !
Elle courait. Mais Jeannin voyait bien que son pied n'effleurait
pas même les lises brillantes, où le pied d'un chrétien
se serait enfoncé jusqu'à la cheville.
Elle courait, mais c'était son écharpe et son voile,
déployés au vent, qui la portaient.
Parmi ces étincelles que la lune arrache aux tangues mouillées,
elle passait comme dans une pluie d'or...