Au
moment où le petit Jeannin arrivait sur les bords du Couesnon,
la cavalcade partie du manoir de Saint-Jean s'arrêtait aussi
devant la rivière. On sembla se consulter un instant parmi
les hommes d'armes, puis la troupe se sépara en deux.
L'une remonta le cours du Couesnon, du côté de Pontorson,
l'autre poursuivait sa route vers la grève.
Jeannin ne savait pas quel était le motif de cette marche
nocturne.
Il se tapit dans un buisson pour laisser passer les cavaliers
qui descendaient à la grève.
Les cavaliers passèrent.- Mais la fée ?
Le pauvre Jeannin avait perdu sa trace.
Hélas ! hélas ! les cinquante écus nantais
!
Jeannin mit encore son oreille contre terre. Peine inutile. Le
pas lourd des chevaux étouffait tout autre bruit.
La fée s'était-elle cachée comme lui pour
éviter les soudards ?
La fée avait-elle franchi le Couesnon ?
Il ne savait. Pour comble de malheur, la lune était sous
un nuage.
On ne voyait rien en grève.
Jeannin était consterné. Il avait bien envie de
pleurer.
Désormais, la fée allait se défier de lui.
Jamais, au grand jamais, il ne devait trouver l'occasion si belle.
Il s'assit, de guerre lasse, et mit sa tête entre ses mains.
Comme il était ainsi, quelque chose frôla ses cheveux.
Il se leva en sursaut et poussa un cri.
Un autre cri faible lui répondit.
C'était la fée qui sautait dans le courant du Couesnon.
Elle ne savait donc plus courir sur l'eau sans mouiller la pointe
de ses pieds, la fée ?
Jeannin n'eut garde de se faire à lui-même cette
indiscrète question.
Il reprit sa course.
La fée avait déjà gravi l'autre rive.
Bonté du Ciel ! ce qui avait frôlé les cheveux
du petit Jeannin, c'était le voile de la fée. S'il
avait eu l'esprit seulement d'avancer le bras !