De
l'autre côté du Couesnon, il fallait décidément
entrer en grève ou prendre le chemin des bourgs normands
qui avoisinent la côte.
Ce chemin tourne le dos au Mont-Saint-Michel ; et, d'après
la première direction suivie, Jeannin pensait bien que
la fée allait vers le Mont-Saint-Michel.
Il n'y eut pas longtemps à douter. La fée, après
avoir jeté encore un regard derrière elle, fit un
brusque détour et se lança dans les sables à
pleine course.
Les sables ! c'était l'élément de Jeannin.
Il serra la corde qui lui servait de ceinture, et se remit à
jouer des jambes.
La lune sortait des nuages. La grève s'illuminait. On pouvait
voir la cavalcade du manoir de Saint-Jean qui allait ça
et là au hasard, sur les tangues, tantôt s'éloignant,
tantôt se rapprochant du Couesnon. Jeannin et celle qu'il
poursuivait étaient déjà trop loin pour qu'il
y eût pour eux grand danger d'être aperçus.
Ils couraient maintenant, à cinquante pas l'un de l'autre,
sur un terrain uni comme une glace.
Et il n'y avait pas à dire, le petit Jeannin gagnait à
vue d'oeil.
Le pas de la fée était toujours léger et
rapide, mais Jeannin, qui la dévorait des yeux, croyait
découvrir déjà quelques symptômes de
fatigue. Son courage en devenait double, et il se disait encore
:
-Elle est à moi ! elle est à moi ! Il ne savait
pas que les fées sont généralement d'un naturel
assez moqueur. Simon Le Priol, qui était très fort
sur les fées, aurait pu lui dire cela. Les fées
se laissent approcher par le pauvre garçon qui les poursuit
: elles l'encouragent par une fatigue feinte : elles l'amorcent
: quand il va se lasser, elles trouvent moyen de le piquer au
jeu.
Tant qu'il a un souffle, il court.
Puis, au moment où il croit saisir la fée, la fée
s'envole en riant.
Et il tombe à plat ventre, suant et geignant.
Bien heureux si le lutin mignon ne l'a pas attiré dans
quelque trou !
C'était un ignorant que ce petit Jeannin.
Prendre une fée à la course ; prendre la lune avec
ses dents ! On surprend les fées, on ne les prend pas.