Voilà
ce que tout le monde sait bien.
Si le père Le Priol avait entendu le petit coquetier répéter
en courant :
Elle est à moi ! elle est à moi ! il aurait ri comme
un bossu.
Pourquoi le chevalier breton de la légende avait-il réussi
? C'est qu'il avait saisi la fée au moment où elle
se baissait pour ramasser les friandises achetées chez
le marchand d'épices de la ville
de Dol...
Tout cela est évident. Mais le petit Jeannin gagnait du
terrain.
Il n'y avait plus guère entre lui et la fée qu'une
trentaine de pas.
Le vent vint plus frais à son front.
-La mer monte, se dit-il. Et d'un regard connaisseur, il interrogea
la grève. Il se vit à moitié route du Mont,
dans la ligne de Pontorson. Tout
en courant, il arrangeait un stratagème que lui suggérait
sa parfaite connaissance des grèves et des marées.
Les tangues sont plates, mais il y a des canaux dont la pente
est presque imperceptible à l'oeil et où la mer
monte bien longtemps avant de couvrir les sables. Le petit Jeannin
étudia le terrain pendant quelques secondes. Puis il changea
brusquement de direction. Vous eussiez dit qu'il cessait de poursuivre
la fée.
Tandis que celle-ci courait au nord, sur le Mont que l'on voyait
comme en plein jour, Jeannin prenait à l'est, sans ralentir
son pas le moins du monde. C'est ici que Simon Le Priol, les quatre
Mathurin et les quatre Gothon auraient ri de bon coeur.
Tout à coup la fée s'arrêta devant une mare
qu'elle n'avait pas soupçonnée.
Puis, elle voulut en faire le tour et se trouva naturellement
en face de Jeannin qui l'attendait de l'autre côté.
Elle rabaissa son voile sur son visage.
-Que voulez-vous de moi ? dit-elle d'une voix qui tremblait un
peu. Le coeur de Jeannin battait, battait !