envenimé
qui pût venger sa défaite, car il était vaincu,
lorsque le pas d'un cheval se fit entendre sur le chemin.
Tout le monde se leva.
-Julien ! Julien ! s'écria-t-on, Julien Le Priol ! nous
allons avoir des nouvelles de la ville ! Le cheval s'arrêta
en dehors de la porte qui s'ouvrit. Julien Le Priol, fils de Simon,
entra.
C'était un beau gars de vingt ans, fortement découplé
: cheveux noirs, oeil vif et franc, un gars qui s'était
plus souvent tourné, pour respirer, du côté
du bon air des grèves que du côté de l'atmosphère
lourde et tiède du Marais. Il baisa sa mère et Simonnette.
-Quelles nouvelles, garçon ? demanda le père.
-Mauvaises ! répliqua Julien, en jetant sur la table les
lames de faux qu'il était allé acheter chez le taillandier
de Dol ; mauvaises ! Ce ne sont pas des malfaiteurs
qui ont saccagé le manoir de Saint-Jean et ce n'est pas
par dérision qu'on a planté au bas du perron le
poteau de la justice ducale. Monsieur Hue de Maurever, notre seigneur,
est accusé de haute trahison.
-De haute trahison ! répéta Le Priol stupéfait.
Les nouvelles, en ce temps-là, ne couraient point la poste.
Le hameau de Saint-Jean, qui était situé en vue
du Mont, à cinq ou six lieues d'Avranches, ne savait pas
encore ce qui s'était passé, à quinze jours
de là, dans la basilique du monastère.
Une nuit de la semaine qui venait de s'écouler, le manoir
de Saint-Jean avait été saccagé de fond en
comble par des mains invisibles. Les villageois effrayés
avaient entendu des chants et des cris. Le lendemain, il n'y avait
plus un seul serviteur au manoir désolé.
Et, devant la grand'porte, un écriteau aux armes de Bretagne
portait ces mots que Vincent Gueffès avait déchiffrés
: Justice ducale.
Du reste, les maîtres étaient absents depuis du temps,
et, quand les pillards étaient venus, ils n'avaient trouvé
que des valets au manoir.
Le lendemain, à travers les fenêtres désemparées,
les gens du village avaient jeté leurs regards à
l'intérieur du château. Il n'y avait plus que les
murailles nues.