Des
vaches comme il en fallait pour fournir la crème exquise
du déjeuner de mademoiselle Reine.
Car Reine de Maurever habitait presque toujours le manoir de Saint-Jean.
Pas maintenant, hélas ! Maintenant Reine était Dieu
savait où, depuis que son vieux père menait la vie
d'un proscrit.
Pauvre demoiselle ! si douce, si charitable, si aimée !
Quand Simonnette allait par les chemins, les bras passés
autour du cou de la Rousse ou de la Noire, elle pensait bien souvent
à mademoiselle Reine.
Elles étaient du même âge, la fille du gentilhomme
et la fille du paysan. Elles avaient joué ensemble sur
la pelouse du manoir.
Ensemble elles étaient devenues belles.
Reine avait la noble beauté de sa race. Plus tard, nous
la verrons bien plus belle encore sous son voile de deuil.
Simonnette... franchement, vous n'avez jamais pu rencontrer de
plus mignonne créature ! Un sourire contagieux, un sourire
irrésistible. À la voir les fronts se déridaient.
Simonnette ! Simonnette ! rien que ce nom-là, c'était
de la gaieté pour ceux qui l'avaient vue.
Excepté pourtant pour ce pauvre petit Jeannin, le coquetier.
[1]
Jeannin pleurait quand les autres souriaient.
Il se cachait pour voir passer Simonnette, et quand Simonnette
était passée, il se prenait le front à deux
mains.
S'il avait osé, le petit Jeannin, il se serait vraiment
cassé la tête contre un pommier. Mais il aurait eu
peur de se faire trop de mal.
Figurez-vous une tête de chérubin avec des cheveux
bouclés à profusion, des grands yeux bleus, tendres
et timides, et sous sa peau de mouton, hélas ! bien usée,
cette gaucherie gracieuse des adolescents.
Il était fait comme cela, le petit Jeannin, et il allait
avoir dix-huit ans.
1 :
Pêcheurs de coques : les coques
(palourdes) sont une sorte de diminutif des coquilles de Saint-Jacques.
Elles abondent dans la baie de Cancale et autour du Mont.