Les
autres chiens se démenèrent avec fureur.
Deux ou trois d'entre eux parvinrent successivement à rompre
leurs laisses et se précipitèrent en avant sur les
traces de Pivois.
Pivois était une belle et noble bête, nourrie dans
l'héroïque chenil de Rieux ; gris de fer foncé,
le museau pointu comme un poignard, le corps musculeux, les griffes
tranchantes.
En trois bonds, il fut auprès d'Aubry.
C'était une sorte de tumulus ou renflement à peine
sensible. Le brouillard y était moins opaque que dans les
fonds. On distinguait parfaitement le sol ; on voyait même
à trois pieds à la ronde.
Au centre du mamelon, il y avait un poteau humide et gluant, couvert
de mousse marine et qui, à marée haute, indiquait
le bas-fond aux petites barques de pêcheurs montois.
Aubry s'était adossé contre ce poteau.
Il avait à la main son épée nue.
Dès l'instant où il avait entendu la conversation
des hommes d'armes et senti, en quelque sorte, la fringale des
chiens qui le flairaient, il avait dû renoncer à
toute idée de fuir.
Une seule ressource restait : le combat.
Le combat se présentait, certes, bien inégal ; mais
Aubry avait foi en sa force, et ces soldats du vieux temps, un
contre dix, ne désespéraient pas de la victoire.
Tant que leurs doigts d'acier pressaient la croix d'une épée,
ils taillaient de leur mieux.
Il y avait ici quelque chose de plus terrible que les hommes,
c'étaient les lévriers. Mais Aubry devinait là
des hommes d'armes qui serraient la laisse de chaque chien au
lieu de lâcher à la fois la meute tout entière.
Il se disait :
-Ah ! si j'avais seulement avec moi maître Loys ! vrai Dieu
! ce serait une belle équipée ! Dix chiens pour
maître Loys, dix hommes pour moi : c'est notre mesure.
-Mais, se reprenait-il en soupirant ; pauvre maître Loys
!... où est-il ?
Une masse sombre saillit hors du brouillard. Aubry sentit une
haleine de feu et son épaule saigna sous la griffe de Pivois.