Aubry
allait tout seul, fou de douleur, courant dans cette nuit éclairée,
sans but, sans direction, presque sans espoir.
Les filles et les gars de Saint-Jean erraient ça et là
à l'aventure.
Dans la brume, tous ces différents groupes se croisaient
maintenant sans se voir. Tout était à la débandade.
Et la besogne des hommes d'armes du chevalier Méloir n'en
valait pas mieux pour cela. Cette foule dispersée des fugitifs
n'était bonne qu'à donner le change aux chasseurs.
Aubry avait quitté ses compagnons depuis un quart d'heure,
lorsqu'il crut ouïr un bruit léger derrière
lui.
Il s'arrêta et colla son oreille contre la tangue.
Son coeur battait bien fort.
Mais quand il se releva, le rayon d'espoir qui brillait naguère
à son front avait disparu.
Ce bruit qu'il entendait, c'était le pas des chevaux de
Méloir.
Aubry chercha de quel côté il prendrait la fuite,
car son premier besoin était de vivre, afin de protéger
Reine.
Les pas approchaient.
Aubry pouvait ouïr déjà la voix des hommes
d'armes.
-Holà ! disait Péan, qu'a-t-il donc ce brigand d'Ardois,
il va rompre sa laisse !
-Et Rougeot ! répliquait Goëtaudon ; ah ça,
ils deviennent enragés, Bellissan, vos lévriers
!
-Chut ! fit le veneur ; ne voyez-vous pas qu'ils rencontrent ?
J'ai de la peine à tenir ce grand diable de chien que j'ai
acheté sur la route. Bellemont, Reinot, coquin, bellement
! Le chevalier Méloir est-il là ?
-Messire Méloir ! appelèrent discrètement
plusieurs voix.
Messire Méloir était ailleurs, car il ne donna point
de réponse.
-Voilà qui est grand dommage ! dit encore Bellissan, car
je suis bien sûr que nous allons avoir un relancé.
Bellement, Reinot, coquin, bellement !
-Hé bien ! hé bien ! cria Corson, le héraut,
voilà Pivois qui m'entraîne. À bas, Pivois
! à bas, de par le ciel ! Bon ! sa laisse s'est rompue
dans ma main et Dieu sait où est le chien à cette
heure.
Pivois s'était élancé en poussant cet aboiement
court et plaintif des lévriers de race, qui ressemble au
cri d'un sourd-muet.