Coëtivy
est mort devant Cherbourg, Coëtivy, notre grand homme de
guerre ! Ainsi s'en vont les Bretons
vaillants, laissant leurs dépouilles dans les champs de
la Normandie. Je te le dis, Aubry, je te le dis : la Bretagne
commence son agonie dans la victoire, comme le duc François
lui-même. Un vent souffle de l'est, qui sera une tempête.
La France allongera son bras de fer... et l'on dira : «C'était
autrefois une noble nation que la Bretagne...»
Aubry ne comprenait pas.
Maurever poursuivait avec une exaltation croissante, les cheveux
épars et les yeux au ciel :
-Maudit soit, entre tous les jours maudits, le jour où
tu mourras, ô Bretagne ! Maudite soit la main qui touchera
l'or de ta couronne ducale ! Maudit soit le Breton qui ne donnera
pas tout son sang avant de dire : «le roi de France est
mon roi !»
-Où est-il, ce Breton ? s'écria Aubry. Maurever
le regarda d'un air sombre.
-Tu es jeune ; tu verras cela ! dit-il ; une malédiction
est sortie de cette tombe où dort monsieur Gilles. Tu verras
cela ! Nantes, la riche, et Rennes, l'illustre, et Brest, et Vannes,
et le vieux Pontivy, et Fougères, et Vitré, seront
des villes françaises.
-Jamais !
-Bientôt ! Il mit sa tête entre ses mains et ne parla
plus. Aubry n'osait l'interroger. Au bout de quelques minutes,
le vieillard s'agenouilla devant sa croix de bois et pria. Quand
il eut achevé sa prière, il se retourna vers Aubry
qui demeurait immobile à la même place.
-Enfant, dit-il, si nous étions seuls tous les deux, je
te prendrais par la main et nous irions ensemble vers notre seigneur,
lui porter notre vie. Mais nous ne sommes pas seuls. Et peut-être
vaut-il mieux que cela soit ainsi, car le sang ne lave pas le
sang, et l'esprit de révolte s'exalterait davantage tout
autour de nos têtes tranchées. Nous allons être
attaqués, sans doute : fais suivant ta conscience ; moi,
je laisserai mon épée dans le fourreau.