Les
Mathurin, Bruno et Jeannin sortirent de l'enceinte pour aller
chercher des coques au revers de Tombelène.
Pendant cela, Aubry était seul avec le vieux sire de Maurever
dans la tour démantelée. À deux pas de là,
dans un angle saillant de l'ancienne ligne des murailles, Jeannin
avait bâti à l'aide de pierres et de planches apportées
par le flot, une petite cabane où Reine et Simonnette étaient
assises l'une auprès de l'autre.
Simon Le Priol, sa femme Fanchon et le reste de l'émigration
s'abritaient du mieux qu'ils pouvaient et faisaient leurs préparatifs
de nuit.
-Mon fils, disait le vieux Maurever à Aubry, ce me fut
un grand crève-coeur, quand je vous vis jeter votre épée
aux pieds de notre seigneur François. C'était pour
l'amour de Reine qui est ma fille que vous faisiez cela, et je
pensais : Me voilà, moi, Hugues de Maurever, chevalier
breton, qui enlève une bonne épée à
mon duc de Bretagne !
-Monsieur mon père, répondit Aubry, ce que je fis
ce jour-là, tous les nobles du duché le feront demain.
Maurever courba sa tête blanche.
-Alors, puisse Dieu m'épargner le châtiment que j'ai
mérité peut-être ! murmura-t-il. Et comme
Aubry le regardait, étonné, le vieillard reprit
:
-J'ai cru faire mon devoir, mais le crime de l'homme est entre
l'homme et Dieu. Le crime ne change pas le droit de notre seigneur
duc à qui appartient la vie de notre corps. J'ai mal fait,
mon fils Aubry, j'ai mal fait, j'ai mal fait !
Il se frappa la poitrine durement.
-J'aurais dû rester à genoux sur la dalle du choeur,
continua-t-il, et tendre mes vieilles mains aux fers. Au lieu
de cela, traître que je suis, j'ai pris la fuite parce que
je devinais derrière son voile de deuil le doux visage
de Reine, ma fille, et que je voulais l'embrasser encore.
-Vous ! un traître ! s'écria Aubry ; vous, le saint
et le loyal !
-Tais-toi enfant ! tais-toi ! ne blasphème pas ! Oui, je
suis un traître, et Dieu m'a puni en livrant aux flammes
les demeures de mes vassaux de Saint-Jean. Dans ma solitude, n'ai-je
pas entendu comme un écho funeste ?