s'instruit
à tout âge. Le frère Bruno, qui était
un homme avisé, fit peut-être son profit de cette
leçon. Nos renseignements, recueillis sur les lieux mêmes,
ne nous donnent, néanmoins, aucune certitude à cet
égard.
-Je vous dirai l'histoire de Toinon la mailletière à
la veillée de la mi-août, répliqua-t-il ;
et quant aux mulets ou surmulets, le nom n'y fait rien, je sais
quelque chose qui les remplacerait avec avantage.
-Quoi donc ? quoi donc ?
-Sautés dans le beurre frais, avec ciboule, persil, casse-pierre
et civettes à la reine, les lapins de Tombelène
sont un manger de chevalier.
-Chassons le lapin ! s'écria Jeannin. Chacune des quatre
Gothon pensa au fond de son coeur :
-Je mangerais bien du lapin ! Scholastique, depuis qu'elle avait
atteint l'âge de garder les oies, avait envie de manger
du lapin !
Le petit Jeannin s'était levé, fier comme Artaban,
et enjambait déjà le mur d'enceinte, l'arbalète
à la main.
-Attends, mon fils, attends ! dit le frère Bruno ; les
lapins de Tombelène sont bons, c'est vrai, mais il n'y
en a plus, depuis que les Anglais ont tenu garnison dans l'île.
-Oh ! les coquins d'Anglais ! gronda le choeur.
-Ils aiment le gibier comme s'ils étaient des chrétiens,
repartit Bruno, le mieux est de gratter le sable pour trouver
des coques, si nous voulons souper ce soir.
-Nous autres, ça ne fait pas grand'chose, dit Jeannin,
qui n'obtint point cette fois l'approbation des Gothon ; mais
monsieur Hue, mademoiselle Reine et Simonnette ne doivent manquer
de rien.
Hé ! ho ! les Mathurin ! aux coques ! aux coques !
-Eh bien ! se disait le bon moine convers, je raconterai cette
histoire-là : Le petit Jeannin du village de Saint-Jean,
sous la ville de Dol, qui portait une peau de mouton comme saint
Jean-Baptiste... en l'an cinquante...
Ces détails principaux se gravaient dans un des mille casiers
de sa redoutable mémoire. C'était de la matière
pour plus tard.