Or,
qui oserait prétendre que Mathieu Laensberg se soit trompé
ou ait jamais trompé ?
La grande famille formée par tous les ménages de
Saint-Jean réunis se prit à réfléchir
en regardant les débris du festin.
Et le résultat des réflexions de chacun fut ceci
:
-Il n'y a pas de quoi faire un autre repas.
-J'ai vu le temps, dit frère Bruno, répondant au
sentiment général, le temps où nous prenions
de beaux mulets (le lupus de Pline) au nord de Tombelène.
L'abbé Gontran, un rude amateur de poissons, les appelait
des surmulets, et à cet égard, je sais une aventure...
-Mais, se reprit-il précipitamment, monsieur Hue m'a défendu
de conter des histoires !
-Dites-nous plutôt comment nous prendrions bien des mulets
! s'écria le petit Jeannin.
-Avec des filets, mon fils, c'est bien simple.
-Mais où prendre des filets ?
-Voilà, mon garçonnet, ou j'en voulais venir. Nous
n'avons pas de filets, par conséquent, nous ne pouvons
prendre de mulets ou surmulets, suivant
l'abbé Gontran, en latin lupus.
- C'est bien la peine de nous mettre l'eau à la bouche,
s'écrièrent trois Gothon.
Le quatrième dormait, comme font encore de nos jours beaucoup
de Gothon, tout de suite après la soupe.
-Ah, ah ! dit le frère Bruno, on est goulu sur la côte
bretonne ; je sais bien ça, et l'histoire de Toinon Basselet,
la mailletière, le prouve du reste !
-Voyons l'histoire de Toinon la mailletière, crièrent
en chœur les filles et les gars.
Pour la première fois de sa vie, le frère Bruno
comprit le mystérieux plaisir de la résistance.
Pour la première fois de sa vie, il put entrevoir la valeur
que donne à une chose ou à un homme le «se
faire prier», cette qualité qui est le seul mérite
de tant d'esprits graves et de tant de chanteurs légers
!
D'ordinaire, quand il voulait conter, on lui coupait la parole.
Aujourd'hui qu'il était muet, on le suppliait d'ouvrir
la bouche.
On s'instruit