te
préviens qu'il y a bataille cette nuit. Si tu veux t'en
aller après cela, honte à toi !
-S'il y a bataille, je reste, repartit Rochemesnil ; mais après
la bataille, je m'en vais.
-Où ça ?
-Devers Guérande, où feu monsieur mon cousin Foulcher
m'a laissé des salines sous son beau château de Carheil.
Méloir se laissa choir sur l'unique fauteuil qui fût
dans la salle.
-Sarpebleu ! sarpebleu ! sarpebleu ! grommela-t-il par trois fois.
Et c'était preuve d'embarras majeur.
-En sommes-nous donc là déjà ? reprit-il
; je croyais que nous avions encore, au moins, une vingtaine de
jours devant nous.
Comme on le voit, entre lui et les autres, ce n'était qu'une
question de semaines. Il demeura un instant pensif ; puis il se
redressa tout à coup.
-Allons ! Rochemesnil, dit-il, va-t'en voir les salines que t'a
laissées feu monsieur ton cousin Foulcher de Carheil et
que le diable t'emporte !
Rochemesnil ne se le fit pas répéter.
Méloir regarda ceux qui restaient.
-Voilà les brebis parties, s'écria-t-il. Il ne reste
plus céans que les loups. Sarpebleu ! mes fils, une dernière
danse et qu'elle soit bonne ! Après, s'il le faut, nous
aurons toute une quinzaine pour faire notre paix avec le futur
duc, que saint Sauveur protège ! ajouta-t-il en touchant
la toque qui remplaçait, sur sa tête, le casque conquis
par Aubry de Kergariou.
Ce bout de harangue fit un assez bon effet. Péan, Coëtaudon,
Kerbehel, Corson, Hercoat et d'autres encore se levèrent
et dirent :
-Nous sommes prêts.
-Donc, commençons le bal ! ordonna Méloir. Chacun
s'arma. On ne laissa pas un seul soldat au manoir.
Bellissan fut chargé d'emmener les lévriers qu'on
devait parquer sous la chapelle Saint-Aubert au mont Saint-Michel,
afin de couper la retraite aux proscrits s'il s'avisaient de vouloir
tenter la fuite à travers les grèves.