-Allons
! allons ! ne te fâche pas, cousin Méloir. Une fois
ou l'autre, je te rendrai tes armes. À présent,
nous n'avons plus que le bâillon à mettre.
Il était trop tard pour faire résistance.
Méloir se laissa bâillonner.
Mais il ne restait plus trace de son excellent caractère.
Il roulait dans sa tête de féroces pensées
de vengeance.
Aubry lui souhaita courtoisement le bonjour et donna du gantelet
dans la porte.
Il frappait à tour de bras, se souvenant que le bon frère
Bruno avait dit : «Je vais à matines».
Mais il paraît que le bon frère Bruno s'était
ravisé, car au premier coup la porte s'ouvrit.
Aubry ne put s'empêcher de faire un pas en arrière.
-Il était là ! pensa-t-il ; il a dû tout entendre.
Et comme, au même instant, Méloir se leva brusquement,
poussant des cris inarticulés sous son bâillon, Aubry
se vit perdu.
-Qu'a donc ce maître fou ? s'écria cependant le bon
frère Bruno.
Sire chevalier, donnez-lui du plat de votre épée
entre les deux épaules !
Méloir s'était élancé vers la porte.
Il cherchait à mettre son visage en lumière et à
se faire reconnaître du moine convers.
Mais celui-ci se tournant vers Aubry :
-Je n'ai jamais vu le prisonnier comme cela ! dit-il, vous l'aurez
donc fait boire, sire chevalier ? En l'an trente-neuf, nous avions
un captif du nom de Thomas Gréveleur, qui devint maniaque
dans ce même cachot.
J'ai envie de vous conter son histoire. Figurez-vous que ce Thomas
Gréveleur...
Méloir se démenait furieusement.
-Sortons ! dit Aubry qui était tout pâle et qui s'étonnait
que la méprise du frère pût se prolonger ainsi.
Le bon Bruno fit retraite aussitôt, et comme Méloir
s'attachait à lui, le bon Bruno ne crut pouvoir moins faire
que de communiquer à ce prisonnier récalcitrant
un coup de poing paternel.
C'était un digne poignet que celui du bon moine. La poitrine
de Méloir sonna comme un tambour. Il chancela et tomba
sur la paille.
-Voire ! dit Bruno indigné, ce n'est pas ma besogne que
de caresser les fous ! je m'en suis fait mal à la deuxième
phalange du doigt annularius...
Aubry avait passé le seuil. Bruno le suivit, parlant toujours
et grondant