Je reviens aussitôt d'un air humble et affectueux. Je reprends
:
-Messire Hue, j'aime votre fille...
-Et à ce coup, il te tourne le dos, malandrin que tu es
! interrompit Aubry.
-Je crois que tu as raison, répondit tranquillement Méloir
; à cet aveu il devra me tourner le dos. C'est la crise.
Mais je ne me démonte pas, et j'ajoute d'un ton pénétré
:
-Pensez-vous, messire Hue, qu'avec un pareil amour, j'aie pu,
un seul instant ?... Il m'interrompt par un rude :
-En voilà assez !
Car il faut faire la part de sa mauvaise humeur. Moi, je m'écrie
:
-Ah ! messire Hue ! l'accusé a du moins le droit de la
défense ; au moment où je vous ai dit : j'aime votre
fille, vous avez cru deviner le mobile de ma conduite, vous avez
pensé : le chevalier Méloir veut nous conduire aux
pieds du duc François, livrer ma tête et demander
pour récompense la main de ma fille...
Si je puis verser une larme en cet endroit, mon cousin Aubry,
tout est dit !
Si je ne peux pas verser une larme, je ferai semblant de m'essuyer
les yeux et je poursuivrai avec chaleur :
-Hélas ! messire Hue, tel n'est point mon dessein. Je ne
suis qu'un pauvre gentilhomme, c'est vrai, mais j'ai le coeur
aussi haut qu'un roi. Mon dessein, c'était de prendre l'emploi
de vous pourchasser, afin qu'un autre, moins ami, n'en fût
point chargé.
Mon dessein était, le premier jour comme aujourd'hui, de
venir à vous et de vous dire : «La terre Normande
est là, sous vos pieds, messire Hue ; vous êtes libre.
Que Dieu vous garde...»
-Ah ! scélérat maudit ! s'écria Aubry, qui
avait de la sueur aux tempes.
-Aimerais-tu mieux me voir te livrer au grand prévôt
du duc François ? demanda Méloir en ricanant.
-Je voudrais te voir en champ clos et l'épée à
la main, charlatan d'honneur !