-Fais-moi descendre en grève, s'écria Aubry, donne-moi
une épée, et prends avec toi deux ou trois de tes
routiers, tu verras si je soutiens mes paroles !
-Bien riposté ! Mais nous sommes trop vieux, mon cousin,
pour nous laisser prendre ainsi. Je te tiens quitte de toute réparation.
Tu es le plus vaillant écuyer du monde, voilà qui
est dit. Si nous étions tous deux en grève, tu me
pourfendrais, comme Arthur de Bretagne pourfendit le géant
du mont Tombelène, voilà qui est convenu... En attendant,
causons raison ; il me reste à t'apprendre pourquoi ta
partie serait si belle, si une bonne fée venait, par aventure,
briser tes fers et percer les murailles de ton cachot.
Les choses ont bien marché depuis le huitième jour
du présent mois de juin qui va finir.
François de Bretagne est demeuré frappé de
la citation solennelle à lui portée par le vieux
Maurever. Il a vieilli de dix années en deux semaines.
Sans cesse il pense au dix-huitième jour de juillet, qui
est le jour fixé pour sa comparution devant le tribunal
de Dieu. Et ses médecins ne savent pas s'il atteindra ce
terme, tant la vie s'use vite en lui. Or, le soleil couchant n'a
plus guère d'adorateurs : les mages vont au soleil qui
se lève ; en ce moment où je te parle, un homme
résolu qui déploierait au vent un chiffon armorié
en criant le nom de monsieur Pierre, le futur duc, mettrait en
fuite mes cavaliers et mes soudards, comme une troupe d'oies effrayées.
Aubry baissait la tête pour cacher le feu qu'il sentait
dans ses yeux.
Il songeait à son barreau de fer coupé aux trois
quarts.
Dans quelques heures il pouvait être libre.
Il avait besoin de toute sa force pour contenir le cri de joie
qui voulait s'échapper de son coeur.
Méloir qui lui voyait ainsi la tête basse, triomphait
à part soi.
Il poursuivit :
-Mais qui diable songerait
à jouer ce jeu, sinon toi, mon cousin Aubry ? Le vieux
Maurever, qui est un saint,- cela, je le proclame !- aimerait
mieux se faire tuer cent fois que de lever la bannière
de la révolte. Et notre petite Reine n'est qu'une femme,
après tout.
-Oh ! gronda Aubry, feignant le désespoir et la rage, être
obligé de rester là comme une bête fauve dans
sa cage de fer !