-Il s'agit de savoir lequel des deux en définitive sera
son seigneur et maître. Or, j'avais de la peine pour toi,
mon cousin Aubry, parce que je savais d'avance que tu ne gagnerais
pas la partie.
-Je ne l'ai pas perdue encore, murmura Aubry.
Le regard du chevalier se fixa sur lui à la dérobée,
vif et perçant. Puis il examina le cachot en détail
comme s'il eût voulu guérir une crainte fâcheuse
qui lui était venue tout à coup.
Cette boîte de granit était bien faite pour chasser
toute inquiétude.
-Figure-toi, cousin Aubry, dit-il, qu'une idée folle vient
de me traverser la cervelle. La manière dont tu as prononcé
ces paroles :
«Je ne l'ai pas encore perdue !» m'a sonné
à l'oreille comme une menace. J'ai pensé que tu
avais peut-être un moyen de trouver la clé des champs.
Or, si tu la trouvais, la clé des champs, ta partie ne
serait vraiment pas trop mauvaise.
Le regard d'Aubry se releva lentement.
-Voilà qui commence à piquer ta curiosité,
n'est-ce pas ? interrompit Méloir. Je pourrais te tenir
rigueur à présent, car tu n'as pas été
aimable avec moi, mais je suis bon prince et n'ai point de rancune.
Je vais te parler absolument comme si tu m'avais reçu à
bras ouverts. Oui, mon cousin Aubry, la chance tourne, et si tu
étais en liberté, tu aurais, comme on dit, les quatre
as de la quinte de grande séquence, qui marquent, (ensemble
le point) quatre-vingt-dix sans jouer. Et alors, moi, je me trouverais
repic avec ma fameuse maxime : il vaut mieux se faire craindre
qu'aimer, car je n'aurais plus même le moyen de me faire
craindre.
Aubry écoutait de toutes ses oreilles.
Méloir fit une pause.
Il semblait jouir de l'attention nouvelle que lui prêtait
son compagnon.
-Mais, reprit-il avec un gros rire railleur, il te manque justement
la clé des champs, mon cousin Aubry, et ce n'est pas moi
qui te la donnerai ! Voilà de bonnes murailles, ma foi
! mon jeu vaut mieux que le tien. On t'aime, mais j'épouserai.
N'y a-t-il pas de quoi rire ?
-Quand on est un mécréant sans foi ni honneur...
commença Aubry.
-Fi donc ! tu en arrives tout de suite aux gros mots. Ta position
te protège, mon cousin, ce n'est pas généreux.