rapide.
Le jour approchait. Elle voulut profiter de la brume et se mit
vaillamment à la nage. Mais le courant la prit dès
les premières brasses. Elle fut obligée de lâcher
son panier et de rebrousser chemin.
C'était vingt-quatre heures d'attente pour le vieillard
qui souffrait.
Reine le savait.
Elle avait le coeur bien gros, la pauvre fille, en traversant
la grève ; mais, outre que le reflux avait emporté
ses provisions, elle ne pouvait aller à Tombelène
en plein jour, sans trahir le secret de la retraite de son père.
La route qui lui restait à faire pour regagner le village
de Saint-Jean était longue, car elle ne pouvait traverser
la grève bretonne à cause de la présence
des soldats de Méloir. Il lui fallait rester en Normandie
jusqu'à la terre ferme, où les haies pourraient
alors protéger sa marche.
Elle était lasse et presque découragée.
Si le petit Jeannin ne lui eût point pris l'escarcelle de
Méloir, elle aurait attendu la nuit de l'autre côté
d'Avranches, au bourg de Genest ou ailleurs, elle aurait acheté
des provisions, et profité du bas de l'eau, vers le commencement
de la nuit, pour passer à Tombelène.
Mais elle n'avait rien ; elle avait tout donné, pressée
qu'elle était de s'enfuir.
Le seul moyen qu'elle eût désormais de se procurer
des vivres, c'était de rôder la nuit prochaine, autour
des maisons de Saint-Jean, et de prendre, au seuil des portes
closes, les offrandes déposées pour la fée
des Grèves.
Le jour, il fallait qu'elle errât dans la campagne de Normandie.
Il n'était pas encore midi lorsqu'elle arriva au bourg
d'Ardevon, à une demi-lieue de la rive normande du Couesnon.
Elle s'enfonça dans les guérets, et le sommeil la
prit, accablée de fatigue, au milieu d'un champ de froment.
Elle ne fit pas comme le petit Jeannin, qui dormit douze heures
ce jour-là dans sa meule de paille. Elle s'éveilla
longtemps avant le coucher du soleil, et fit le grand tour pour
arriver au village de Saint-Jean à la nuit tombante.
Le manoir était désert lorsqu'elle parvint au pied
du tertre.