Il
se croyait désormais sûr de son fait. Le bruit léger
que saisissait son oreille collée contre terre était
dans la direction du Couesnon. En coupant droit au Couesnon sans
quitter les bords de la grève, Jeannin s'épargnait
tous les détours des sentiers qui serpentent à travers
les champs.
Il s'élança dans cette voie nouvelle avec ardeur.
Il ne se souvenait même pas d'avoir eu peur. Il souriait.
La fée n'avait qu'à se bien garer !
Ce sont d'étranges rivières que les cours d'eau
qui sillonnent les grèves. Le Couesnon surtout, la Rivière
de Bretagne.
Aucun fleuve ne tient son urne d'une main plus capricieuse.
Torrent aujourd'hui, humble ruisseau demain, le Couesnon étonne
ses riverains eux-mêmes par la bizarre soudaineté
de ses fantaisies. On aurait dû lui donner un nom féminin,
car cette fantasque humeur ne sied point à un dieu barbu,
à moins qu'il ne soit en puissance de naïade.
Parfois, en arrivant sur les bords du Couesnon, vous diriez un
étang desséché. Ses berges, creusées
à pic par le flot qui s'est retiré, semblent des
murailles de marne verdâtre. Loin des rives, au milieu du
lit, un étroit canal passe ; le Couesnon y coule en bavardant
sur des galets.
La veille, sous le pont pittoresque, le Couesnon grondait, blanc
comme les fleuves puissants qui tourmentent le limon de leur lit
; le Couesnon tonnait contre les piles du pont. Le Couesnon était
fier.
Ce jour-là, il prodigua l'eau de son urne, sans souci du
lendemain.
Comme ces fils de famille qui éblouissent la ville avant
de lui inspirer de la compassion, le Couesnon a fait des folies.
Et le voilà aujourd'hui tout humble, tout petit, tout réduit,
encore comme un pauvre diable entre la dernière nuit d'orgie
et le premier jour d'hôpital.
Mais ce n'est rien tant qu'il reste en terre ferme.
Quand il attaque la grève, le caprice des sables s'ajoute
au caprice de l'eau, et c'est entre eux une lutte folle.
Le Couesnon est le plus fort. La grève lui appartient toute
entière. Il