-Un
gentil petit page que je n'avais pas aperçu, poursuivit
maître Gueffès, dont la joue jaunâtre prit
une teinte plus chaude, me sangla un coup de gaule à travers
la figure. Tenez, voyez plutôt !
Il montra sa joue rougie, où une ligne blanche se dessinait
en effet, nettement.
-Un bon coup de houssine ! dit Méloir.
-Oui, répondit Gueffès ; il y a bien dix ans de
cela. Le coup paraît toujours, et le mire m'a dit qu'il
paraîtrait jusqu'à ce que le page soit en terre.
-Le page a dû devenir un homme ?
-Un gentilhomme, monseigneur, portant une lance presque aussi
bien que vous.
-Tu l'appelles ?
-Aubry de Kergariou.
Il y eut encore un silence. Au dehors l'aube blanchissait l'horizon.
Méloir reprit le premier la parole.
-Maître Gueffès, dit-il avec une certaine noblesse,
Aubry de Kergariou est mon cousin, et je suis chevalier, je vous
défends de rien entreprendre contre lui.
-Contre lui ! moi ! s'écria Gueffès de la meilleure
foi du monde ; ah ! vous ne me connaissez guère. Je souhaite
que messire Aubry aille en terre, c'est vrai, mais pour l'y mettre
moi-même, incapable, mon cher seigneur ! Seulement si vous
aviez pensé comme moi qu'un cercueil ferme toujours mieux
qu'un cachot, j'aurais dit : Amen.
- Assez sur ce sujet, maître Gueffès !
-Comme vous voudrez, monseigneur. Mais moi qui ne suis pas chevalier,
il m'est permis d'avoir d'autres idées... pour mon compte,
j'entends ! J'ai aussi un rival auprès de Simonnette. Il
n'est pas même en prison, et le plus tôt que vous
pourrez le faire pendre sera le mieux.
-Comment ! le faire pendre ! se récria Méloir.
-C'est un petit cadeau que je vous demande par-dessus le marché
des cinquante écus nantais.