Mais
une seconde ! c'était dix fois plus qu'il n'en fallait
à Reine de Maurever pour opérer sa retraite.
Leste comme un oiseau, elle bondit parmi les dormeurs qui s'agitaient
; elle sauta d'un seul élan sur l'appui de la fenêtre
ouverte, et les soldats se frottaient encore les yeux qu'elle
avait déjà franchi le seuil de la cour.
En passant près de la table, elle avait soufflé
les deux résines.
La lune était sous un nuage.
Ce fut, dans la salle, une scène de désordre inexprimable.
Au milieu de l'obscurité complète, on se démenait,
on se choquait.
Les jambes engourdies des dormeurs s'embarrassaient dans le foin
qui leur servait de lit, et plus d'un tomba lourdement, mêlant
aux cris confus un son retentissant de ferraille.
On eût dit qu'une lutte acharnée avait lieu.
-Allumez les résines ! commanda Méloir. Et chacun
de répéter :
-Allumez les résines ! Mais quand toute le monde commande,
personne n'obéit. On continua de s'agiter à vide.
Le sieur de Corson s'était remis en pal, comme il disait
quand il était de très joyeuse humeur. En pal, pour
lui, signifiait debout.
Oh ! les sinistres joies de la science !
Quand un docte homme plaisante, fuyez ! Il n'y a qu'une plaisanterie
de mathématicien, qui puisse être plus funeste qu'une
plaisanterie d'archiviste-paléographe !
Les autres cherchaient leurs armes, juraient, se bourraient, trébuchaient
contre les flacons vides et donnaient leurs âmes au diable,
qui ne s'en souciait point.
Le chevalier Méloir était comme ébahi.
Il fallut que la lune sortît de son nuage pour mettre fin
à la mêlée. Un rayon argenté inonda
un instant la salle, pour s'éteindre bientôt après.
Mais on avait eu le temps de se reconnaître. Conan et Kervoz
battaient déjà le briquet.