Elle
fit un pas en avant. Elle entra dans la lumière de la lune
qui jeta des reflets azurés dans l'or ruisselant de ses
cheveux.
Vous l'eussiez alors reconnue.
Pauvre Reine ! que de larmes dans ses beaux yeux depuis le jour
où nous l'avons entrevue derrière les plis de son
voile de deuil !
Ce jour avait commencé sa misère. Depuis ce jour-là,
son vieux père luttait contre le ressentiment d'un prince
outragé ; lutte terrible et inégale ! Depuis ce
jour, le pauvre Aubry était captif dans les cachots souterrains
du Mont-Saint-Michel.
Et son père n'avait qu'elle au monde pour le secourir et
le protéger !
Et Aubry ! Oh ! que pouvaient les mains blanches de Reine contre
l'acier des barreaux ou le massif granit des murailles ?
Elle avait pleuré, mon Dieu !
Mais il y avait une audace latente sous les grâces de cette
frêle enveloppe.
Et toute hardiesse a sa gaieté, parce que la gaieté,
qui est un mode de l'enthousiasme, se dégage de tout effort
moral, comme la chaleur de tout effort physique.
Les pleurs de Reine se séchaient souvent dans un sourire.
Elle était si jeune ! et Dieu lui faisait de si surprenantes
aventures !
Cette nuit, par exemple, au milieu de ces soudards qui ronflaient,
elle avait peur, c'est vrai ; mais un malicieux sourire vint à
sa lèvre quand elle reconnut, trônant sur le fauteuil
d'honneur, Méloir, le chevalier de nouvelle fabrique.
Naguère, dans les fêtes d'Avranches, cet homme lui
avait demandé la permission de porter ses couleurs. Plus
tard, il s'était offert de lui-même, sur le noble
refus d'Aubry, à poursuivre Hue de Maurever. C'était
maintenant un chevalier. Et pourtant Reine souriait, parce qu'il
est des hommes qu'on ne peut haïr sérieusement.
La salle était grande. Reine voulait parvenir jusqu'à
la table.
Elle avait un panier au bras, et son regard convoitait naïvement
les débris du souper.
Elle avançait avec lenteur parmi ces obstacles humains.
Il lui fallait à