— ...Si mon frère me gênait, dit Méloir,
continuant une conversation à voix basse, mon frère
serait mon ennemi. Et mes ennemis, je les tue. Le duc a bien fait
!
—
Tais-toi, cousin, tais-toi ! murmura Aubry scandalisé.
Les
chevaux, lourdement équipés, hésitaient sur
les sables mouvants de la Sée.
Les guides crièrent :
—
Au galop mes seigneurs !
La
calvalcade se lança et franchit l'obstacle.
Méloir
était toujours aux côtés d'Aubry de Kergariou.
—
Moi, dit-il, j'ai le double de ton âge, mon cousin. On me
traite toujours en jouvenceau, parce que j'aime trop les dés
et le vin de Guienne. Mais demain mes cheveux vont grisonner;
je suis sage. Ecoute : pour la dame de mes pensées, je
ferais tout, excepté trahir mon seigneur, voilà
ma morale !
—
Elle est donc bien belle, ta dame, mon cousin Méloir? demanda
Aubry avec distraction.
Les
yeux du porte-étendard brillèrent
sous la visière de son casque.
—
C'est la plus belle ! repliqua-t-il avec emphase.
C'était
un homme de haute taille et de robuste apparence, qui portait
comme il faut sa pesante armure. Sa figure eût été
belle sans expressivon de brutale effronterie qui déparait
son regard. Du reste, il se faisait tort à lui-même
en disant qu'il commencerait à grisonner demain, car sa
chevelure abondante et bouclée s'échappait de son
casque en mèches plus noires que le jais.
Il pouvait avoir trente-cinq ans.
Aubry atteignait sa vingtième année.
Aubry
était grand, et l'étroite cotte de mailles qui sonnait
sur ses reins n'ôtait rien à la gracieuse souplesse
de sa taille. Ses cheve ux châtains, soyeux et doux tombaient
en boucles molles sur ses épaules. Sa moustache naissait
à peine, et la rude atmosphère des camps n'avait
pas encore hâlé sa joue. Aubry était beau.
Il avait le coeur d'un chevalier.
Méloir
avait un père Normand et une mère Bretonne, Méloir
ne valait pas