apportait
à l'évêque d'Avranches, dans une bourriche
fleurant bon le varech, le fameux turbot, objet des convoitises
du jeune profès, mais que voulait faire servir à
une meilleure cause l'avisé prieur claustral.
Les mauristes, hélas ! en furent pour leurs frais; il est
vrai qu'ils n'étaient pas considérables. Quelques
jours après la réception du poisson et de la supplique,
M. d'Avranches remerciait, d'un mot très sec, les moines
du Mont Saint-Michel du poisson trouvé dans leurs pêcheries
et rejetait leur pressante requête. « Le prieur, dit
l'annaliste, qui avait naïvement cru obliger le seigneur
à aimer le monastère et la religion», fut
non seulement désappointé, mais encore très
irrité et un des frères de la communauté
fit un jeu de mots sur le nom de cet évêque qui pratiquait
si bien l'indépendance du cœur et qui signait Ro(ger)
d'Aumont; on l'appela Rodomont et, à partir de ce jour,
aucun poisson ni coquillage, pas même le plus petit bigorneau,
ne fut envoyé aux cuisines épiscopales d'Avranches
de la part des moines du Mont Saint-Michel.
Les chroniqueurs nous ont aussi conservé le souvenir d'un
animal prodigieux, laissé à sec, sur les grèves,
entre Cancale et la Normandie:
« Sa tête, nous dit un vieux texte, était large
et beaucoup plus grosse que le corps; sa gueule, s'ouvrant d'un
pied de haut, présentait des dents aiguës et rangées,
comme celles du requin; le milieu de son palais était hérissé
de pointes très piquantes; sous son collet de droite et
de gauche, sortaient