Messire
Satanas montre ses cornes. Aussi le moine vous conduit-il auprès
d'un gros bloc de pierre: « Voyez-vous cette empreinte?»
vous demandera-t-il. Par politesse, vous dites : « Oui ».
La vérité est que vous ne distinguez pas très
bien. Alors le bon prieur vous affirmera, sans rire, que c'est
la griffe du Diable poursuivi par l'archange. Celui-ci força
celui-là à se réfugier en Bretagne, son pays
de prédilection, assure un chroniqueur du temps qui, à
n'en pas douter, était normand. Si vous déclarez,
tout net, au prieur que l'empreinte n'est pas celle d'un pied
Fourchu, il vous répondra, qu'après tout, c'est
peut-être le pied de l'archange.
Quand Nicolas Delaunay vous aura fait faire le tour du propriétaire,
il vous conduira à sa cellule ; il vous montrera, avec
humilité, les manuscrits qu'il confectionne. Ce n'est point
un artiste; il ne sait pas couvrir d'or el d'azur le vélin
d'un missel ; mais c'est un bon scribe, un parfait transcripteur.
Son petit volume, déposé à la bibliothèque
d'Avranches, est un recueil de trente pièces de vers, sur
des sujets de piété dont l'auteur est frère
Eustache, de l'ordre de Saint-Bruno. II débute par un éloge
de sainte Gaiie ; il célèbre ensuite les moines
d'Égypte qui
N'usaient de nulles cuisines,
Mais d'herbes crues el de racines,
Et de fruits au désert trouvés