-Elle
n'est pas au monastère ? demanda le vieux chevalier.
-Vous ne la ramenez pas ? demanda Aubry à son tour. Ce
fut un moment d'angoisse cruelle. Jeannin, l'heureux petit Jeannin,
avait Simonnette dans ses bras. Mais quand il entendit que mademoiselle
Reine était perdue, il s'arracha des bras de Simonnette.
-Je vais rentrer en grève, dit-il ; la mer monte, il faut
se hâter ! Maurever et Aubry avaient du froid dans les veines.
Ce mot : «la mer monte» les frappait au coeur. Aubry
serra la main de Jeannin, et lui dit :
-Viens avec moi ! Mais, au lieu de descendre à la grève,
il gravit précipitamment la rampe et s'élança
dans l'escalier de la salle des gardes. Jeannin et Bruno le suivaient.
De la salle des gardes à la plate-forme, il y a bien des
marches.
Aubry fut sur la plate-forme en quelques secondes. Jeannin ne
l'avait pas quitté d'une semelle, mais le frère
Bruno soufflait encore dans les escaliers.
-Ouf ! disait-il ; ou... ouf ! cela me rappelle l'histoire de
Jean Miolaine, le maître gantier, qui paria de monter au
beffroi de Coutances pendant que Perrin Langérier, son
compère, boirait une double pinte de vin d'Anjou... ou-ou-ouf
!
Quand il arriva sur la plate-forme, Aubry et Jeannin dévoraient
déjà l'espace du regard.
Le brouillard s'était levé. L'oeil planait sur l'immensité
des sables. Au nord-ouest, on voyait la ligne bleue de la mer
qui montait. Sur la grève, rien.
Rien, sinon un point sombre et perceptible à peine qui
se montrait de l'autre côté du Couesnon, à
la hauteur du bourg de Saint-Georges.
Aubry le désigna du doigt à Jeannin.
-C'est trop loin, dit le petit coquetier ; on ne peut pas savoir...
Puis il ajouta :
-Dans dix minutes, la mer couvrira ce point noir. Aubry avait
au front des gouttes de sueur glacée.