dire un mot cette fois, traversa toute la troupe pour se rapprocher
de Jeannin.
Sans le brouillard, on aurait pu voir sur la figure du frère
convers une inquiétude grave. Et il ne fallait pas peu
de chose pour produire cet effet-là !
-Où es-tu, petit ? demanda-t-il à voix basse, quand
il se crut auprès de Jeannin.
-Ici, répliqua ce dernier.
Bruno s'avança encore jusqu'à ce qu'il pût
lui prendre la main.
-Es-tu bien sûr du chemin que tu suis ? dit-il.
-Non, répondit Jeannin, dont la main était froide
et la respiration haletante ; depuis deux ou trois minutes je
vais à la grâce de Dieu.
-Où crois-tu être ?
-À l'orient du Mont.
-Moi, je crois que nous sommes à l'ouest ; la tangue mollit
; le vent vient de l'ouest, et si nous étions de l'autre
côté, nous ne le sentirions guère.
-C'est vrai. Tournons à gauche.
-Avertis, au moins, avant de tourner.
-Tournons à gauche ! répéta Jeannin à
haute voix. Il n'y eut point de réponse. Jeannin pâlit
et se prit à trembler.
-Monsieur Hue ! dit-il doucement d'abord. Puis il cria de toute
sa force :
-Monsieur Hue !
Le silence ! Sa voix tremblait comme si elle eût rencontré
au passage un obstacle inerte et sourd. Il était arrivé
ceci : Tout en parlant et sans y songer le frère Bruno
et Jeannin s'étaient arrêtés. Pendant cela,
les fugitifs, continuant leur route, avaient passé à
droite ou à gauche, et ils étaient loin déjà.
Les bras de Jeannin s'affaissèrent le long de ses flancs.
-Simonnette ! et la demoiselle ! murmura-t-il.
-Allons, petit ! du courage ! reprit Bruno ; si l'un de nous les
retrouve, cela suffira ; prends à gauche ; moi j'irai à
droite. Et des jambes !
Ils s'élancèrent chacun dans la direction indiquée.
Deux minutes après, il leur eût été
impossible de se retrouver mutuellement.