-Tais-toi,
petit coquin, tu ne connais rien à la chirurgie.
Parler fait toujours du bien. Apporte-moi cette pierre qui est
là-bas et que j'ai eu grand tort de ne pas leur jeter à
la tête.
Jeannin alla vers la pierre et tâcha d'obéir. Mais
il ne put seulement pas la remuer.
Frère Bruno se leva en chancelant, prit la pierre avec
la seule main qu'il eût de libre, et la lança à
sa place pour s'en faire un siège.
-Vous êtes tout de même un fier homme ! dit Jeannin
avec admiration.
-Oh ! mon pauvre petit ! répliqua Bruno plaintivement ;
demain, en rentrant au couvent, j'aurai la discipline double !
Mais il faut dire que je l'ai bien gagnée, ajouta-t-il
en riant dans sa barbe.
-Holà ! les Gothon ! s'écria-t-il tout à
coup, voulez-vous que je meure au bout de mon sang ? De l'eau
et du linge, mes bonnes chrétiennes ? vite ! vite !
Il était devenu tout pâle, et la vaillante vigueur
de son corps fléchissait.
Les Gothon, les Mathurin, les Catiche, Scolastique et le reste,
s'empressèrent aussitôt autour de lui, car il était
évidemment le roi de la partie plébéienne
de la garnison.
Ses blessures furent lavées et pansées tant bien
que mal.
-Nous voilà bien ! dit-il ; maintenant, je recommencerais
de bon coeur. Oh ! oh ! mes vrais amis, j'en ai vu bien d'autres
!
Savez-vous l'histoire de Tête-d'Anguille, le meunier de
l'Île-Yon, en rivière de Vilaine ? Tête-d'Anguille
était père de dix-neuf enfants, huit fils et onze
filles, qu'il avait eus de sa femme Monique, laquelle était
du bourg d'Acigné. Une nuit qu'il ne dormait point, il
entendit son moulin parler.
Son moulin disait :
-Valaô ! Valaô ! Valaô !
Comme disent tous les moulins, vous savez bien, pendant que le
blutoir fait : cot-cot-cot-cot-cot-cot !...
Tête-d'Anguille comprit bien que son moulin voulait dire
:
-Va là-haut ! va là-haut. Il éveilla sa ménagère,
et lui recommanda d'écouter le moulin. La ménagère
écouta.