-Reine
! s'écrièrent en même temps les deux adversaires.
Reine se laissa choir sur ses genoux.
-Tiens, Aubry, dit-elle d'une voix faible, je t'apporte l'épée
de mon père !
-Reine ! Reine ! vous êtes blessée...
-Que Dieu soit béni, si je meurs pour toi, mon ami et mon
seigneur ! murmura la jeune fille. Sa tête s'inclina, pâle,
et sa taille s'affaissa.
Aubry, fou de douleur, se précipita sur Méloir.
En même temps, Jeannin, Bruno, Julien et Simon Le Priol,
tout le monde enfin, hommes et femmes, tentant un suprême
effort, se ruèrent contre les assiégeants.
Un instant, au milieu de la nuit obscure, on n'aurait pu voir
qu'une masse confuse et compacte, une sorte de monstre, agitant
ses cent bras. Puis des plaintes s'élevèrent. Des
râles sourds gémirent.
-Ferme ! ferme ! commanda Bruno, dont la tête et le bras
droit s'élevèrent au-dessus de la masse, par deux
ou trois fois.
Par deux ou trois fois l'acier cria, broyé sous le poids
de son esparre. Il avait fait un large cercle autour d'Aubry,
dont la bonne épée ruisselait.
Aubry, dégagé, fondit à son tour sur le gros
des hommes d'armes qui plièrent et se retirèrent
vers l'angle de l'enceinte qui leur avait donné entrée.
-Ils sont à nous ! ils sont à nous ! hurlait Bruno,
ivre de joie.
Et Dieu sait que les gens du village incendié n'avaient
pas besoin d'être excités.
Mais au moment où les hommes d'armes et les soldats qui
avaient pénétré dans l'enceinte se trouvaient
acculés au mur, la grande taille de monsieur Hue de Maurever
se dressa entre eux et les défenseurs de la place.
-Assez ! dit le vieux chevalier, en étendant sa main désarmée-
Ils ont tué mademoiselle Reine ! s'écrièrent
Jeannin, Julien et les autres.
-Assez, répéta le vieillard, dont la voix austère
ne trembla pas.
Tout le monde s'arrêta, bien à contrecoeur. Les assaillants
sautèrent par-dessus le mur et s'enfuirent en menaçant.
Bruno grommela :