Le
frère Bruno s'approcha respectueusement de monsieur Hue.
-Que Dieu vous bénisse, mon bon seigneur, dit-il, et la
jolie demoiselle, et même messire Aubry, mon ami, qui m'a
planté là en pleine grève, quoique je prisse
la peine de lui raconter une histoire ou deux pour abréger
le chemin. Je viens ici dérouiller mes pauvres bras, qui
s'engourdissaient là-haut.
-Mais si le prieur s'aperçoit de votre fuite, répliqua
monsieur Hue, il enverra ses hommes d'armes après vous.
-Quel prieur ? Il faut distinguer : le prieur claustral, je ne
dis pas ; mais il ne s'occupe pas du dehors. Quant au prieur des
moines, il a porté l'armure comme moi, et la main lui démange
trop souvent pour qu'il ne comprenne point mon cas. D'ailleurs,
je n'ai point prononcé de voeu, mon bon seigneur, et à
mon retour je n'aurai que la discipline simple, qui est donnée
par frère Eustache, mon compère.
Le vieux Maurever fronça le sourcil.
-Je n'aime pas qu'on plaisante, même innocemment, des choses
de la religion, mon frère, dit-il avec sévérité.
-Bon ! s'écria Bruno désespéré, voilà
qu'on va me renvoyer avant la bagarre ! J'aurai la discipline
tout de même et je ne me serai point battu ! Mon bon seigneur,
ayez pitié de moi !
-Père, murmura la douce voix de Reine, il a aidé
Aubry à se sauver.
-Et j'ai donné trois tours de clé sur ce coquin
de Méloir, ajouta Bruno ; saint patron, monseigneur, si
vous aviez vu sa figure !
-C'est un excellent homme, dit Aubry, à son tour ; sans
lui, les jours de ma captivité auraient été
bien durs.
-Oui, oui, s'écria Bruno ; je lui ai conté de fières
histoires au jeune seigneur...
-Et tenez, interrompit-il en prenant sans façon monsieur
Hue par la manche, ce frère Eustache, dont je vous parlais,
a eu, avant d'entrer en religion, vers l'an trente-trois, au mois
d'avril, une bien gaillarde aventure dans la ville de Guichen,
entre Rennes et Redon.
Il venait de vendre des poules au marché de Guer, car il
tenait une