l'archer
qui veillait sur la plate-forme, il y a deux nuits, n'aurait pas
mieux touché but que les deux premiers ? Mon compagnon
Alain n'a jamais manqué trois coups de suite en sa vie.
Et Dieu merci, on voyait la jeune fille au clair de lune comme
je vous vois, messire Aubry. Heureusement, j'avais écouté
au trou de la serrure, pendant que vous causiez avec elle...
-Ah ça ! tu es un diable, toi ! s'écria le jeune
homme d'armes, moitié riant, moitié fâché.
-Plaignez-vous ! Je saisis le bras d'Alain, mon compagnon, et
je lui dis : Voici un gobelet de vin que saint Michel archange
envoie à son fidèle gardien. Et maître Alain
de relever son arbalète pour prendre la tasse. La tasse
était profonde. Quand Alain, mon compagnon, l'eut retournée,
la demoiselle Reine de Maurever était à l'abri derrière
l'angle de la muraille.
Aubry lui prit la main et la serra vivement. Frère Bruno
s'arrêta et releva les manches larges de son froc.
-Regardez-moi ça, dit-il en montrant des bras d'athlète
; quand les soudards de Méloir viendront chercher le vieux
Hue de Maurever là-bas, à Tombelène, ces
bras-là pourront leur faire encore bien du chagrin. Je
tiens joliment une épée. Quand je n'ai pas d'épée,
j'aime assez un gourdin. Quand je n'ai pas de gourdin, tenez,
je m'en tire comme je peux.
Il avait saisi à deux mains une grosse roche qu'il balança
un instant au-dessus de sa tête. La roche partit comme si
elle eût été lancée par une machine
de guerre, et s'en alla briser un poteau planté dans le
sable à trente pas delà.
Frère Bruno sourit bonnement.
-Supposez le Méloir en place du poteau, dit-il, ça
lui aurait, bien sûr, ôté l'appétit
pour longtemps.
-Mais dites-moi, mon jeune seigneur, reprit-il soudainement, avez-vous
jamais ouï conter l'aventure de Joson Drelin, bedeau de la
paroisse de Saint-Jouan-des-Guérets ?