Le
gentilhomme, qui était un Corniquet, prit une gaule et
se mit à gauler des pommes avec mon parrain.
Mon parrain pensait :
-Voilà, de vrai, un bon seigneur ! Les pommes tombaient
par boissées. Quand tout fut tombé, le gentilhomme
tendit sa perche à mon parrain, qui n'avait guère
de malice, oh ! non.
Mon parrain prit la perche.
Aussi vrai comme Poulven est en Poulbalay, devers la rivière
de Rance, mon parrain se sentit emporté par-dessus ses
pommiers. Le gentilhomme tenait l'autre bout de la perche et il
nageait dans l'air comme un poisson dans l'eau.
Ce qu'il arriva ? que mon parrain eut l'idée de dire un
Ave, et que le malin lâcha la perche, en criant : Tu me
brûles !
Quoi ! mon parrain se réveilla avec une côte défoncée,
sur les pierres de Saint-Suliac, de l'autre côté
de la Rance...
Il y eut un murmure sourd parmi les soldats et les villageois
qui s'étaient rapprochés pour entendre l'histoire.
-Mais la Fée des Grèves ? reprit Kervoz, qui n'était
déjà plus fanfaron qu'à moitié. Un
Mathurin se chargea de répondre.
-Y avait des années qu'on ne l'avait pas entr'aperçue,
dit-il, ornant son langage à cause de la circonstance ;
mais depuis quelques jours approchant, elle a reparu de par ici,
car les écuellées de gruau s'en vont toutes les
nuits, écuelles et tout.
Un Mathurin ayant ainsi parlé, les quatre langues des Gothon
brûlèrent.
-Ça, c'est vrai ! s'écrièrent-elles toutes
quatre à la fois ; et chacun sait bien que quand on la
rencontre en mauvais état qu'on est de péché
mortel, on ne voit pas le soleil levant le lendemain matin !
Parmi les soudards, il n'y en avait guère qui ne fussent
en mauvais état de péché mortel. Plus d'un
regard furtif fouilla la nuit avec terreur.
Il y eut un silence.
Pendant le silence, le malaise général augmenta.
Messire Méloir tardait trop.