ce
que le gril des martyrs est au foyer qui chauffe doucement la
semelle de vos souliers.
La faim, le grand supplice !
Vous n'avez jamais eu faim ? tant mieux ! que Dieu vous en préserve
!
Celui qui écrit ces pages a eu faim. Il sait quelques-unes
des phases de cette lente et terrible agonie.
Il est un moment bizarre où la faim raille et joue. On
est encore bien loin de la mort. On souffre, mais la force n'est
presque pas entamée, les jambes restent fermes, et c'est
à peine si quelques éblouissements
courent au-devant des yeux.
On a des rêves, tout éveillé ; entre quatre
murs, le phénomène du mirage se produit.
Le vide se meuble. Tout ce qui se mange vient se ranger sur la
pauvre table nue. L'étalage d'un marchand de victuailles
n'est rien auprès du magnifique buffet que sait vous dresser
la faim.
Hue de Maurever en était là.
Il ne demandait qu'un morceau de pain, et la faim généreuse
lui prodiguait un festin de roi.
Oh ! les riches pièces de venaison fumantes ! Les jambons,
les langues de boeuf, le faisan qui garde son noble plumage !
Les pâtés, dressant sur le lin blanc leur fantasque
architecture !
Et les épices, et les pyramides de fruits : la poire dorée,
la pêche de velours, le raisin transparent et blond !
Et le vin vermeil qui brille dans l'or ciselé des grandes
coupes !
Monsieur Hue voyait toutes ces belles choses en marchant le long
de la grève.
Un morceau de pain !
Au manoir de l'Aumône,- un beau nom pour la maison d'un
gentilhomme,- la table était loin d'être somptueuse
; mais il y avait simple et noble abondance.
La dernière fois que monsieur Hue avait soupé au
manoir de l'Aumône, on mit sur la table un certain haut-côté
de sanglier, large, dodu, énorme.
Monsieur Hue s'en souvenait de ce généreux plat
: il le voyait, il avait l'eau à sa bouche.