Aubry
disparut, comme si cette observation, cruelle dans sa vérité,
l'eût foudroyé.
Ce n'était que sa main droite qui se fatiguait.
Ces plongeons soudains du pauvre prisonnier mettaient le comble
à la bizarrerie de cette scène, où la gaieté
de deux cœurs vaillants et jeunes luttait presque victorieusement
contre une profonde détresse.
Quand la tête d'Aubry se remontra, Reine vit qu'il secouait
ses cheveux bouclés avec colère.
-Patience ! dit-il ; je sais que je ne suis bon à rien...
Mais je payerai toutes nos dettes d'un seul coup, si Dieu le veut.
Revenons à vous, Reine, vous parliez de la suite de ce
coquin de Méloir...
-Je disais que leur nombre m'épouvante, Aubry, et j'allais
ajouter que le secret de la retraite de mon père n'est
plus à moi.
-Comment ! vous auriez confié...
-À vous seul, Aubry ! interrompit la jeune fille ; et si
j'ai eu tort, ce n'est pas vous qui devez me le reprocher. Mais
il y a deux nuits, en traversant la grève, j'ai vu qu'on
me suivait. Je suis revenue sur mes pas ; j'ai fait tout ce que
j'ai pu pour tromper cette surveillance... j'ai cru avoir réussi
; je me trompais : en mettant le pied sur le roc de Tombelène,
j'ai revu la grande ombre maigre et difforme qui sortait du brouillard
en même temps que moi...
-Vous avez reconnu l'espion ?
-J'ai reconnu le Normand Vincent Gueffès, qui habite depuis
quelques mois sur le domaine de Saint-Jean-des-Grèves.
-Est-ce un brave homme ?
-On dit dans le village qu'il vendrait bien son âme pour
un écu.
Aubry garda le silence.
-Il y en a encore un autre, poursuivit Reine ; mais celui-là
est un enfant loyal et dévoué. Je ne crains que
Gueffès.
-Vous souvenez-vous, Aubry ? reprit-elle encore après une
pause, la semaine passée nous étions tout pleins
d'espoir, nous nous disions : notre peine ne durera, au pis aller,
que quarante jours, puisque François de Bretagne n'a plus
que quarante jours à vivre.
Dieu m'est témoin que je