Gueffès,
tout en soufflant le brasier, se disait comme le moissonneur d'Ésope
: «Ne compte que sur toi-même».
Méloir, lui, se promenait de long en large dans la chambre
et secouait ses membres engourdis.
Pendant que le feu flambait déjà dans l'âtre,
il s'approcha d'une fenêtre et jeta ses regards sur la campagne.
Le monticule où s'asseyait le manoir de Saint-Jean avait
à peine quatre ou cinq toises d'élévation
au-dessus du niveau des Grèves, mais dans ce pays cinq
toises suffisent pour constituer une montagne et donner à
la vue le plus vaste des horizons.
La fenêtre tournait le dos à la Normandie. Méloir
voyait une échappée des grèves dans la direction
de Cherrueix et de Cancale, et, en face de lui, le Marais, océan
de verdure, au milieu duquel le mon Dol apparaît comme une
île.
Le soleil s'élevait de l'autre côté du château,
derrière les collines de l'Avranchin. Une teinte rosée
montait au zénith et laissait le couchant perdu dans ces
nuages grisâtres qui rejoignent nos brouillards de Bretagne
et confondent en quelque sorte la terre avec le ciel.
Sur la route de Dol, au loin, un point noir se mouvait.
Et le vent d'ouest apporta comme l'écho perdu d'une fanfare.
-Vive Dieu ! s'écria Méloir, voilà Bellissan,
le veneur, avec mes lévriers de Rieux ! Maître Gueffès
! nous trouverons bien la piste sans toi !
Maître Gueffès ôta son bonnet de laine :
-Si monseigneur veut se mettre les pieds au feu, dit-il, je vais
lui servir son déjeuner ; j'ai encore quelques petites
choses à dire à monseigneur.