Un
nom passa aussitôt de bouche en bouche. On disait :
-Hue de Maurever ! l'écuyer de M. Gilles ! Méloir
hocha sa tête coiffée de fer, comme on fait quand
le mot longtemps cherché d'une énigme vous apparaît
à l'improviste. Aubry, qui respirait à peine, se
tourna vers l'endroit de la nef où les dames étaient
agenouillées. Reine était immobile. Les draperies
de son voile semblaient taillées dans le marbre. Le prétendu
moine, cependant, avait le front haut et l'oeil assuré.
Il regardait en face François de Bretagne dont les paupières
se baissaient. Sa voix se fit grave, et son accent plus solennel.
-En présence de la Trinité sainte, reprit-il, et
devant tous ceux qui sont ici, prêtres, moines, chevaliers,
écuyers, hommes-liges, servant d'armes, bourgeois et manants,
moi, Hugues de Maurever, seigneur du Roz, de l'Aumône et
de Saint-Jean-des-Grèves, parlant pour ton frère
Gilles, assassiné lâchement, je te cite, François
de Bretagne, mon seigneur, à comparaître, dans le
délai de quarante jours, devant le tribunal de Dieu !
Le vieillard se tut.
Sa main droite, qui tenait un crucifix,
s'éleva.
Sa main gauche sortit du froc entrouvert et jeta aux pieds de
François un gantelet de buffle que chacun put reconnaître
pour avoir appartenu au malheureux prince dont on fêtait
les funérailles.
Pour se rendre compte de l'effet foudroyant produit par cette
scène, il faut quitter le milieu sceptique où nous
vivons et secouer l'atmosphère de prose lourde qui nous
entoure ; il faut se reporter au lieu et au temps. Le quinzième
siècle croyait : la religion entrait alors dans la vie
de tous, et il n'était guère de coeur qui ne se
serrât au seul mot de miracle.
Cela se passait au Mont-Saint-Michel, le rocher lugubre, cerné
par la mort.
Cela se passait dans la basilique en deuil, devant le cercueil
de celui-là même qui appelait son frère assassin
aux pieds de la justice suprême.
Autour du cénotaphe, flanqué de ses quatre rangées
de cierges,