Regardé
du Mont Saint-Michel, Tombelaine paraît être à
vingt minutes de marche. Il en faut plus du double pour I'atteindre
sans hâte.
Aux approches de l'îlot, nous rencontrons un pêcheur
courant, les jambes nues, avec une brassée de pieux sur
les épaules. Il se décharge brutalement et, se raidissant,
à pleins bras il enfonce dans la tangue ses pieux en demi-cercle
pour y tendre, le soir, ses filets.
Ce pêcheur, je le connais, c'est Bastard, un ancien terreneuva,
qui se vante d'avoir fait trois cent quatre-vingt-seize mois de
navigation, un type de Normand hâbleur, imaginatif, n'ayant
peur de rien, sauf de l'eau, s'il s'agit d'en boire. Il porte
une belle mine d'assurance; ses moustaches blondes se hérissent
comme celles d'un soldat fanfaron, sous un nez dont une noble
gouttière divise la truffe écarlate; ses yeux en
vrille flamberaient d'une malice joviale si l'ébriété
n'en brouillait le vert pétillant.