L'occasion était manquée. Un crime qui n'a pas réussi
se punit double.
Et c'est bien fait !
Hélas ! hélas ! tout n'est donc pas rose dans la
vie d'un brave homme qui veut la tranquillité pour ses
vieux jours, un ou deux manoirs, quelques rentes, une femme à
son gré, l'aurea mediocritas enfin, et qui dévie
un peu de la ligne droite pour atteindre ce joyeux résultat
?
Hélas ! il y a tant de coquins, pourtant, qui réussissent
! Le ciel était injuste envers ce pauvre chevalier Méloir
!
Tout à coup, de l'autre côté du Couesnon,
il aperçut deux paysans qui cheminaient.
Il s'était trop hâté de désespérer.
L'un de ces paysans, en effet, avait une arbalète sur l'épaule,
et l'autre portait un costume qui réveilla quelques vagues
souvenirs dans l'esprit du chevalier Méloir.
Une peau de mouton, nouée en écharpe et qui semblait
avoir fourni de longs services.
Méloir se rappela ce jeune guide aux blonds cheveux qu'il
avait interrogé en vain quelques jours auparavant, et que
maître Vincent Gueffès voulait si bien faire pendre.
Le pauvre enfant marchait avec peine. La fatigue paraissait l'accabler.
Son compagnon et lui étaient évidemment des fugitifs
du village de Saint-Jean-des-Grèves. Méloir songea
qu'ils pourraient le renseigner. Il leur ordonna d'arrêter.
L'enfant à la peau de mouton et le paysan qui portait une
arbalète n'eurent garde d'obéir. Ils pressèrent,
au contraire, leur marche.
Méloir choisit un endroit où le Couesnon étalait
sur le sable, c'est-à-dire coulait sur une large surface,
sans rives et à fleur de grève.
Ces passages sont les gués les plus sûrs.
Méloir lança son cheval.
Le jeune garçon et son compagnon semblèrent se consulter.
Le premier fit un geste de lassitude désespérée.
Ils s'arrêtèrent.
Le paysan banda son arbalète et se mit au devant du jeune
garçon.
-Que diable veut dire ceci ? gronda Méloir.