Il
le fit tourner comme une toupie et le lança dehors. Les
gens de Méloir disaient :
-C'est le diable déguisé en moine !
-Es-tu malade, Conan ? demanda frère Bruno. Pour réponse,
il reçut une arquebusade dans le bras gauche. Son bras
tomba le long de son flanc.
-Bien reparti, mon compagnon, s'écria-t-il, mais ce sera
ta dernière réplique !
Il avait saisi de la main droite un quartier de roc qui traversa
la nuit en sifflant et alla écraser la tête de l'archer
dans son casque.
-C'est le diable ! c'est le diable ! répétèrent
les soudards épouvantés.
-En l'an vingt-neuf, dit Bruno, je fus frappé d'un coup
d'estoc par un grand coquin d'Anglais qui avait les yeux de travers.
Chacun sait bien que si on répand le sang de ceux qui louchent,
on devient borgne. Souviens-toi de ça, petit Jeannin...
et pique de ta lance ce taupin qui monte à droite. Bien
travaillé, mon enfançon ! Je voulais tuer l'Anglais,
mais non pas devenir borgne.
Gare à toi, Mathurin, le troisième Mathurin !...
Où en étais-je ?
Ah ! je ne voulais pas devenir borgne. Comment faire ? Et qu'aurais-tu
fait, toi, petit Jeannin ?
Petit Jeannin était aux prises avec l'homme d'armes Kerbehel,
qui le tenait déjà à bras-le-corps.
Bruno déchargea un coup de Joséphine sur la tête
de Kerbehel, qui tomba foudroyé, puis il reprit :
-Qu'aurais-tu fait, toi, petit Jeannin ?
-Jarnigod ! s'écria Jeannin, croyez-vous que j'aie besoin
de vous pour faire mes affaires ! Ce taupin était à
moi !
-Je t'en donnerai un autre, mon fils... Moi, je connaissais un
puits à un quart de lieue de là. Je pris mon Anglais
par le cou et j'allai le noyer. Il était lourd... mais
j'ai gardé mes deux yeux.
-Gare ! gare ! Mathurin ! le quatrième Mathurin ! interrompit-il
précipitamment ; oh ! le fainéant ! il s'est laissé
assommer.
Il s'élança vers l'angle de l'enceinte où
l'un des paysans venait en effet d'être tué. Sept
ou huit hommes d'armes et soldats avaient déjà franchi
le mur.