-Vous resterez seul, mon père ?
-Je resterai seul.
-Tirez au moins votre épée.
-J'ai juré par le nom de Dieu que je ne tirerais pas mon
épée.
-Mais cet homme qui est dehors monte, monte !
-Il descendra. Va, ma fille. Reine obéit. En ce moment,
la tête de l'assiégeant dépassa la muraille.
Il jeta un regard au-dedans de l'enceinte. La nuit était
obscure à cause des nuages opaques et lourds qui couvraient
la lune levante. L'homme d'armes ne vit rien. Il se tourna du
côté de la grève et dit tout bas :
-Avancez ! Les objets noirs qui rampaient sur le sable accélérèrent
aussitôt leur mouvement. Il y avait du temps déjà
que monsieur Hue de Maurever voyait ces taches noires sur le sable.
Pendant qu'il faisait sa prière, Aubry, succombant à
la fatigue de trois nuits passées au travail, s'était
endormi. Le vieillard, à genoux devant sa croix de bois,
prolongeait son oraison, parce qu'il y avait eu en lui un doute
poignant et un cruel remords.
Son oeil, habitué à la vigilance, interrogeait la
grève par l'une des meurtrières percées dans
sa tour. Tout en priant, il veillait.
Longtemps il ne vit que l'ombre vague, du sein de laquelle s'élançait
comme un géant debout la masse du monastère de Saint-Michel.
Aux croisées et meurtrières du couvent les lumières
s'étaient éteintes l'une après l'autre, et
le vent d'ouest avait apporté comme un écho perdu
le son de la cloche du couvre-feu.
Ce fut alors que, pour la première fois, Hue de Maurever
aperçut au loin, par une échappée de lune,
l'approche menaçante de l'ennemi.
Car, pour un vieux soldat, il n'y avait point à s'y méprendre.
Chaque siècle a son défaut dominant. Le nôtre
ne peut point, assurément, s'accuser d'un excès
de courage chevaleresque. Mais en 1450, l'esprit des preux n'était
point mort tout à fait. Tout homme de guerre, malgré
le progrès de l'art des batailles, gardait un peu cette
confiance orgueilleuse en sa vaillance isolée, qui était
le fond même de l'ancienne chevalerie.
L'âge n'y faisait rien. Ces témérités
n'allaient point mal aux cheveux