Chantons
au biniou !
Les paysans du village de Saint-Jean-des-Grèves avaient
émigré, parce que leurs demeures n'étaient
plus qu'un monceau de cendres.
Maître Vincent Gueffès avait payé ainsi l'hospitalité
reçue.
Il avait dit aux soudards ivres :
-Le traître Maurever se cache dans une des maisons du village.
J'en suis sûr.
Les soldats avaient enfoncé les portes. Quand on enfonce
la porte du paysan breton, si faible qu'il soit, il frappe.
Les bonnes gens avaient tapé de leur mieux. Il y avait
eu la bataille.
Puis l'incendie.
Car c'était bien le village de Saint-Jean que Reine et
les Le Priol avaient vu flamber en entrant dans la grève,
de l'autre côté d'Ardevon.
Hommes, femmes, enfants, ils étaient là une quarantaine
derrière les débris de la forteresse anglaise.
Comme ils se doutaient bien qu'on avait reconnu leurs traces et
qu'on les relancerait, toute la nuit avait été employée
au travail. Des pierres amoncelées bouchaient déjà
les brèches, et une nouvelle enceinte s'élevait
du côté de l'intérieur.
On se préparait à un siège.
Le vieux Maurever ne s'occupait point de tout cela. Il était
dans sa tour ; Reine, assise à ses pieds, mettait sa belle
tête blonde sur ses genoux. Maurever était plus heureux
qu'un roi.
-Reine, dit-il en caressant les doux cheveux de la jeune fille,
j'ai cru que je ne te verrais plus. Quand ton panier a passé
sous mes yeux emporté par le courant, mon coeur est devenu
froid et comme mort. Oh ! que je t'aime, ma fille chérie
! Pour les travaux de ma longue vie, je ne demande à Dieu
qu'une récompense, ton bonheur !
Reine couvrait ses mains de baisers.
-Toi, reprenait Maurever avec mélancolie, tu m'aimes bien
aussi, je le sais. Mais l'amour des jeunes gens pleins d'espérances
ne ressemble point à l'amour triste des vieillards.
À mesure qu'on vieillit, Reine, la tendresse se concentre
et se resserre, parce que les objets aimés deviennent plus
rares. Ainsi, moi, j'ai perdu ma femme qui était une sainte,
j'ai perdu tes frères qui étaient de nobles coeurs.
Il ne me reste que toi. Toi, au