homme,
qui s'était compromis pour le sauver.
Pourtant, introduire un étranger dans la retraite du proscrit
!
Aubry hésitait parfois.
-C'est bon ! je vois bien que vous m'écoutez, cette fois,
continuait le bon frère servant, qui suait, qui soufflait,
qui bavardait tant qu'il pouvait ; et ça ne m'étonne
point, l'histoire étant agréable, quoique véridique
en tout point. Pour avoir bu beaucoup, il advint qu'un soir, Joson
Drelin se trouva un peu ivre. Sa ménagère lui dit
: Couche-toi, Joson, mon bonhomme ; comme ça tu seras sûr
de ne point battre et de n'être point battu.
Joson Drelin, justement, n'avait pas sommeil.
-Holà ! dit-il, la femme, donne-moi la paix ou je vais
reboire !
-Reboire ! Tu n'avalerais pas seulement plein mon dé de
cidre, tant tu es rond, mon pauvre bonhomme Joson ! Quant à
cela, chacun sait bien que les femmes sont sur la terre pour nos
péchés. Défier un homme de boire ! Avez-vous
vu chose pareille ?
Joson Drelin, ainsi tenté par le démon de son chez
soi, prit la rage ; il appela des métayers qui passaient
sur le chemin et leur dit :
-Hé ! les chrétiens ! voulez-vous voir un homme
boire toute l'eau de la rivière de Rance ? Les métayers
s'approchèrent.
-Voilà ce que c'est, reprit Joson Drelin, mes vrais amis,
écoutez-moi bien.
La femme dit que je ne boirais pas plein un dé de cidre
; moi, je parie boire toute l'eau qui, présentement, coule
en rivière de Rance, de Plouër jusqu'à Saint-Suliac...
Les métayers haussèrent les épaules. L'un
d'eux avait un sac de cuir plein de pièces d'argent, parce
qu'il avait vendu ses vaches au marché de Châteauneuf.
Joson Drelin lui dit :
-Ton argent contre ma maison ! Qui poussa les hauts cris ? Ce
fut la ménagère. Mais l'homme au sac de cuir regarda
la maison, qui était bonne, et répondit bien vite
:
-Tope ! Ta maison contre mon argent ! Les autres métayers
dirent :
-C'est topé la main dans la main ! Qui renie est un failli
coq !
-Au fait, s'écria Aubry répondant à ses propres
réflexions, un brave soldat de plus, dans la bagarre, c'est
quelquefois le salut.