malheur,
l'eau du Couesnon s'enfla comme le lait bouillant qui franchit
les bords du vase.
Le vent soufflait du nord-ouest ; la pluie tombait, la terre tremblait.
La plaine était couverte d'eau.
Quand vint le matin, on vit que le Couesnon débordé,
c'était la mer. La mer qui avait rompu les barrières
posées par la main de Dieu. Elle arrivait, sombre, houleuse,
charriant des arbres déracinés et des cadavres de
bestiaux. L'église de Saint-Vinol était située
sur une hauteur. Les gens du bourg s'y réfugièrent.
Amel et Penhor, qui avaient emmené leur enfant, restèrent
à la porte, parce qu'il n'y avait plus de place dans la
nef. L'eau montait, montait. Amel prit sa femme dans ses bras.
Ils avaient de l'eau jusqu'à la ceinture. Il dit :
-Adieu, ma chère femme. Soutiens-toi sur moi ; peut-être
que l'eau s'arrêtera enfin. Si je meurs et que tu sois sauvée,
ce sera bien.
Penhor obéit. L'eau montait. Quand l'eau toucha sa ceinture,
Penhor éleva le petit Raoul, disant :
-Adieu, mon enfant chéri. Soutiens-toi sur moi ; peut-être
que l'eau s'arrêtera enfin. Si je meurs et que tu sois sauvé,
ce sera bien.
L'enfant fit ce que lui disait sa mère.
L'eau montait toujours, toujours. Bientôt, il ne resta plus
au-dessus des vagues courroucées que la tête blonde
du petit Raoul, et un pan de sa robe bleue qui flottait.
Or, la Vierge de l'église de Saint-Vinol quittait en ce
moment sa niche submergée, afin de s'en retourner au ciel.