J'avais
pour armes mon épieu et mon couteau.
Un bon épieu, Reine, fort comme une lance et pointu comme
une aiguille.
J'attachai maître Loys au tronc d'un châtaignier,
et je lui dis :
«Couche !», il ne bougea plus.
Le daim arriva, trottant dans le taillis ; maître Loys faisait
le mort.
Quand le daim passa, je lui plantai mon épieu sous l'épaule
; il tomba sur ses genoux, et je l'achevai d'un coup de couteau
dans la gorge.
Maître Loys poussa un long hurlement de joie.
Et alors ! comme si ce cri eut évoqué une armée
de démons, la forêt s'illumina soudain. Des torches
brillèrent à travers les arbres, la trompe sonna.
Je vis des cavaliers qui accouraient au galop, excitant des chiens
lancés ventre à terre.
Je me dis :
-Voici les fils d'Isaac Hellès le juif, qui viennent avec
leur meute pour me tuer.
D'un revers, je coupai la courroie qui retenait Loys, et je pris
mon épieu à la main. Loys ne s'élança
pas. Il resta devant moi, les jarrets tendus, la tête haute.
Les juifs criaient déjà de loin : Sus ! sus !
Il y avait un grand chêne qui s'élevait à
la droite de la voie ; j'allai m'y adosser, pour ne pas être
massacré par derrière.
À ce moment-là même, les fils d'Isaac, avec
leur meute et leurs valets, tombèrent sur nous comme la
foudre.
Je vois encore leurs visages longs et cuivrés à
la rouge lueur des torches.
Vous dire exactement ce qui se passa, Reine je ne le pourrais
pas, car je ne le sais guère moi-même.
Un tourbillon s'agitait autour de moi. Je recevais à la
fois des coups par tout le corps. Mon front s'inondait de sang
et de sueur.
Je me souviens seulement que je disais de temps en temps, machinalement
et sans savoir :
-Hardi ! maître Loys !