-Écoutez,
bonne fée, une fois pour toutes, je ne vous lâcherai
pas que vous ne m'ayez donné cinquante écus nantais.
C'est dit.
La fée avait laissé tomber son panier sur le sable.
L'escarcelle du chevalier Méloir était à
sa ceinture.
Le petit Jeannin avait prononcé ces dernières paroles
d'un ton respectueux, mais déterminé.
Il y eut un court silence, pendant lequel on n'entendit que le
sifflement du vent du large et la trompe lointaine des cavaliers
bretons qui se ralliaient dans la nuit.
-Ce vent annonce que la mer monte, n'est-ce pas ? demanda brusquement
la fée.
-Oh ! dit Jeannin qui se mit à sourire ; vous connaissez
les grèves aussi bien que moi, bonne dame... quoique je
vous aie attrapée, ajouta-t-il, comme si une idée
lui fût venue tout à coup, à la mare de Cayeu,
qui n'arrêterait pas un enfant de huit ans. Enfin, n'importe
; ça vous amuse de faire l'ignorante. Oui, bonne fée,
ce vent annonce que la mer monte.
-Montera-t-elle vite, aujourd'hui ?
-Assez.
-Combien faut-il de temps pour aller d'ici au Mont-Saint-Michel
?
-Vous me le demandez ? La fée frappa son petit pied contre
le sable.
-Un gros quart d'heure, en courant comme nous le faisions, ajouta
Jeannin.
-Et la mer fermera la route ?
-À peu près dans une demi-heure. La fée prit
l'escarcelle à sa ceinture et la jeta sur le sable, où
les écus parlèrent leur langage joyeux. Jeannin
poussa un grand cri d'allégresse, lâcha la fée
et se précipita sur l'escarcelle. Mais un doute le prit
soudain.
-Si c'était de la monnaie du diable ! se dit-il. Il se
retourna vivement, pensant bien que la fée était
déjà à mi-chemin des nuages.